INTRODUCTION :
La tragédie Horace (1640) de Corneille évoque la guerre qui oppose Rome, la cité nouvelle, à Albe, la cité voisine et la cité-mère, au VIIème siècle avant notre ère, sous le règne du troisième roi de Rome. Pour empêcher un bain de sang et éviter de faire ainsi le jeu de leurs ennemis communs, les deux villes ont décidé de remettre leur sort à leurs trois meilleurs soldats respectifs : les vainqueurs assureront à leur cité la domination sur sa voisine. La tragédie se noue à la scène 1 de l'acte II lorsqu'on apprend qu'il s'agit des trois frères de la famille des Horaces qui sont désignés et à la scène 2 qu'Albe a choisi les trois Curiaces : or tous sont amis, l'un des Horaces est même le beau-frère des Curiaces et l'un des Curiaces le fiancé de la soeur des Horaces. La scène 3 de l'acte II met face à face ce Curiace et cet Horace et montre une réaction très différente des deux personnages face à cette annonce. Quelle image Corneille donne-t-il de ces deux hommes désormais ennemis dans cette scène éminemment tragique ?
I. UNE SCÈNE DE CONFLIT ET DE RUPTURE ENTRE DEUX AMIS
Alors que la scène 1 de l'acte II montrait un Horace et un Curiace respectueux l'un envers l'autre, Corneille oppose ici de manière de plus en plus forte les deux amis et beaux-frères.
A. La tentative de convaincre l'autre sur l'attitude à avoir face à la situation tragique
Deux positions opposées face à la situation.
1. La révolte de Curiace contre l'hostilité du destin :
- dès sa première réplique, Corneille montre un Curiace évoquant les réalités qu'il considère en lutte contre les Horaces et les Curiaces : « les hommes, les dieux, les démons et le sort » (v.425) et « Le sort, et les démons, et les dieux, et les hommes » (v.428), avec deux accumulations, un chiasme (= abcd devient dcba) et un parallélisme sonore ( o ouvert / d / d / o ouvert dans les deux vers : « les hommes, les dieux, les démons et le sort », « Le sort, et les démons, et les dieux, et les hommes ») qui soulignent l'emportement du personnage contre ces divers instruments de la destinée. Corneille représente un Curiace s'en prenant vivement à ces divers visages de la fatalité en lui faisant lancer un cri de révolte sous forme d'un défi (v.423) adressé à tout l'univers et dont la triple répétition (« Que désormais... » v.423, « Que les hommes... » v.425 et « Je mets à faire pis... ») indique à nouveau la colère : selon Curiace, rien ne saurait être pire que « l'honneur » (v.430) qu'on fait en l'occurrence aux Horaces et aux Curiaces : il faut donc entendre toute l'ironie avec laquelle Curiace emploie ce terme (les adjectifs « cruel, horrible et affreux » qui lui sont associés formant avec le terme d'honneur un oxymore ironique qui donnent au terme d'« honneur » la valeur d'une antiphrase : un « honneur » qui nous est fait ne peut avoir rien de cruel ni d'horrible). (...)
[...] Quelle image Corneille donne-t-il donc de ces deux personnages en les opposant ? Horace a une conduite héroïque au sens où sa réaction est rare, exceptionnelle ; cependant, ce héros qui préfère sa gloire aux affections humaines les plus légitimes peut choquer sur le plan moral, dans la mesure où ce culte du courage semble recouvrir un orgueil démesuré et une insensibilité inhumaine. Quant à Curiace, il incarne un héroïsme humain qui peut davantage séduire le lecteur moderne et qui contraste avec la fougue sans borne du héros plus médiéval qu'incarne Horace. [...]
[...] L'emploi du pronom personnel nous de part et d'autre est à cet égard très significatif : o dans la bouche de Curiace, le nous réunit deux victimes impuissantes contre lesquelles s'unissent toutes les forces surhumaines et divines : l'honneur qu'on nous fait à tous deux. (v.430). La première personne du pluriel a cette même fonction de rapprocher Horace et Curiace dans le début de la tirade de Curiace des v.453 aux v.482 : Il est vrai que ( ) / L'occasion est belle, il nous la faut chérir. [...]
[...] Le parallélisme de construction dans les deux hémistiches (sujet - C.O.D. verbe), le passage de l'affirmation dans la première proposition à la négation dans la seconde et de l'emploi métonymique du nom de la ville ennemie Albe au pronom personnel je le recours à l'asyndète (qui en éludant la conjonction de coordination rend d'autant plus frappante la rapidité de la décision d'Horace) donnent une force singulière à cet ultime vers et, avec la particule négative ne plus marque de manière irrévocable la fin de la relation d'amitié entre les deux hommes. [...]
[...] Horace ou la dynamique épique et sublime du dépassement de soi Par contraste avec Curiace, Corneille fait d'Horace un personnage animé d'une énergie héroïque et oublieux de sa personne au profit de la patrie romaine. Corneille montre Horace comme un homme actif et déterminé : o dès sa première tirade, en multipliant les occurrences du champ lexical du combat : se mesurer (v.434), Combattre un ennemi (v.437), s'exposer ( ) aux coups (v.438), Mourir pour le pays (v.441), combat (v.444), Attaquer (v.445), s'armer (v.447). [...]
[...] o Le dernier indice de cette plainte pathétique de Curiace est constitué par la réaction même d'Horace aux propos de son beau- frère : Horace parle en effet de la plainte (v.508) de son interlocuteur et l'arrivée de sa sœur est aussi présentée comme l'occasion de se plaindre (v.510) avec Curiace. Corneille montre en outre un Curiace déchiré entre amitié et honneur, loi du sang et loi de la cité, ce que traduit surtout le recours à l'antithèse dans la tirade du vers 453 au vers 482 : o Dans le vers 468 J'ai le cœur aussi bon, mais enfin je suis homme la conjonction de coordination mais souligne que les deux hémistiches mettent nettement en balance le courage et l'humanité de Curiace. [...]
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