« Cueillez dès aujourd'hui, les roses de la vie », « Cueillez, cueillez votre jeunesse » : dans les Sonnets à Hélène, et son ode « A Cassandre », Pierre de Ronsard développe l'idée du Carpe Diem et encourage les femmes qu'il courtise à lui céder, en leur rappelant la fugacité de cette beauté qui fait tout leur pouvoir. Cet humaniste du XVIe siècle, chef de file des poètes de Pléiade, pratique toutes les formes poétiques, des Odes (1550) à la poésie engagée (Discours des misères de ce temps 1563), mais il est avant tout connu comme le poète de l'amour.
Le poème « Sonnet X », dans « Continuation des Amours », écrit en 1555 en hommage à une jeune paysanne de quinze ans et de onze ans sa cadette, Marie Dupin (ou Guyet, selon les sources), reprend les motifs chers à l'auteur, et loue la pureté et la jeunesse de son amoureuse, dont il souligne la fragilité, tout en l'amenant, implicitement, à prendre conscience de la chance inouïe qu'elle a d'être distinguée et immortalisée par celui que la jeunesse lettrée désigne, dès 1553, comme le Prince des Poètes. Par ce sonnet adressé à une jeune femme d'humble condition, le poète s'autorise de plus, sous une forme habilement flatteuse et déguisée, une excursion dans la grivoiserie et la poésie licencieuse.
[...] Le contraste, observable entre les cheveux de de la belle, assez sombres, les tonalités rouges et feu qui dominent (auburn, rouge et orange) et la récurrence de l'idée de blancheur, traduit la beauté solaire et sanguine de la jeune femme et la pureté de son teint. Champ lexical du corps, qui délimite le portrait à un buste, dont les bras constituent la partie inférieure, et la chevelure la partie supérieure : joue cheveux oreille lèvres yeux tétins bras sein front main coeur Insistance sur l'aspect physique de la femme, description assez précise. [...]
[...] Enfin, nous pouvons presque suivre le regard du poète, qui traduit cette fascination incontrôlable pour le décolleté de sa belle. En effet, Ronsard décrit Marie depuis le haut, se concentrant au premier quatrain sur le visage, partant de la joue, embrassant la chevelure, et finissant sur l'oreille ; puis il descend au second quatrain sur la bouche, remonte vers les yeux et redescend avec la notion de voix, qui peut évoquer aussi bien la bouche par laquelle elle sort, que la cage thoracique qui émet le son. [...]
[...] Ce tercet existe d'ailleurs sous une autre forme, qui atténue sa crudité : Vous avez les tétins comme deux monts de lait,/ qui pommellent ainsi qu'au printemps nouvelles/ pommellent deux boutons que leur châsse environne. Ce tercet, s'il contient la gourmandise du poète dans les allitérations en m et en n souligne l'aspect printanier de la scène et insiste sur la beauté des seins, comparés à des pierres précieuses, suggère une image beaucoup plus acceptable, tout de même que la scène presque pornographique que nous avons révélée. [...]
[...] Par la beauté de ce sonnet, la richesse des références mythologiques, Ronsard cherche aussi à rappeler à Marie qui il est, c'est-à-dire une des plus prometteuses plumes de La Brigade, groupe de poètes qui deviendra La Pléiade. En immortalisant, par sa plume paradoxalement subtile et grasse, la beauté sensuelle de la jeune femme, il cherche à l'impressionner et à la toucher, tant de façon intellectuelle qu'érotique, par ce don qu'elle semble partager avec lui : la persuasion , personnifiée par Pithon. [...]
[...] Nous avons montré dans un premier temps, comment l'auteur fait l'éloge d'une jeune fille vierge, par le biais des champs lexicaux sur la pureté et du printemps, et aussi avec des références mythologiques à des déesses symbolisant la beauté et la jeunesse. Puis nous avons vu comment est dressé le portrait d'une femme tentatrice, avec la mention récurrente au buste et les allusions érotiques, qui manifestent le désir masculin et appellent la maternité. Pour finir, nous avons décrypté la stratégie amoureuse de Ronsard, qui tout d'abord flatte Marie, puis suscite son respect en étalant ses connaissances et sa philosophie, et enfin cherche à l'infléchir en se faisant passer pour une victime du sentiment amoureux. [...]
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