Dans un entretien avec Geneviève Serreau en 1968, il est précisé qu'« un aspect des Fruits d'Or, c'est le besoin, et l'impossibilité de saisir dans une œuvre d'art une valeur absolue. Elle se dérobe constamment. Un seul lecteur arrive, à la fin, à établir avec l'œuvre un contact direct, à préserver la fraîcheur intacte de sa sensation, comme si efforce de le faire un écrivain ». Publiés en 1963, Les Fruits d'Or, de la romancière et dramaturge française Nathalie Sarraute (1900-1999), se détachent de toute intrigue ou protagoniste, au profit d'un pur jeu linguistique. L'écriture tente de retranscrire la notion de « tropismes », c'est-à-dire, les moments insaisissables de la pensée. Diverses personnes se succèdent autour d'un même objectif : établir une critique unique quant au roman Les Fruits d'Or, autour duquel un consensus, reposant sur la doxa, s'établit. L'ouvrage de Sarraute s'attache à la situation des lecteurs face au livre. L'un d'entre eux se démarque : le lecteur du dernier chapitre. Celui-ci tente de dégager une analyse du lecteur : quelles attitudes doit-il adopter pour garder son avis personnel ? Peut-il se détacher de la doxa? En établissant sa propre réflexion, ce dernier personnage est en marge de sa société mise en scène dans les précédents chapitres. L'excipit de l'ouvrage suscite la question suivante : en quoi cet ultime intervenant incarne-t-il « le bon lecteur »?
[...] Il doit y en avoir bien d'autres comme moi à travers le monde L'expression comme moi inscrit l'aspiration à une nouvelle communauté faite de semblables Les Fruits d'Or sont un remède pour le lecteur qui ne se sent plus en symbiose avec sa société intellectuelle et bourgeoise. Ils constituent une opportunité à la fondation nécessaire d'une nouvelle communauté. Le bon lecteur qu'illustre l'excipit se situe en réalité dans une période de transition. Il vient de dévier de sa communauté originaire et n'aspire qu'à rencontrer ses semblables afin de former un groupe fidèle à ses idées. [...]
[...] Pour cela, il ruissèle d'espoir.Jamais il ne se décourage, même quand les chances s'amenuisent, il doi[t] essayer de nouveau parce qu' on aurait tort de se décourager Le lecteur choisit sa proie tel un prédateur. Il jette son dévolu sur la bête qui se tient un peu à l'écart du troupeau. L'image d'un prêcheur émane du lecteur sans faille dans ses responsabilités envers Les Fruits d'Or. Jusqu'au bout il part à la conquête du moindre fidèle malgré les échecs redondants. [...]
[...] Lui-même parvient constamment à se surprendre, je m'étonne toujours Sa soif de connaissance est insatiable, il garde un regard enfantin, presque d'émerveillement. En se rapprochant du doute, de l'innocence enfantine et des perceptions innées, en prétendant à la solitude, le lecteur se défait de ses chaines. La norme est une corruption qui éloigne le livre de son lecteur. III- La relation fusionnelle entre le livre et son lecteur La progression du lecteur le rapproche, inexorablement, des Fruits d'Or. Tous deux sont intimement liés. Ils partagent leur solitude et leur rejet par la communauté. [...]
[...] Les conformistes oublient les oeuvres qui les ont, un temps, fascinés. Désormais, plus personne ne connaît Les Fruits d'Or. Tous ces semblables sont ainsi dénués de sentiment, d'attachement, puisqu'ils ne se souviennent pas. Leur esprit est comme formaté inlassablement. La culture ne peut s'y ancrer franchement, et le cheminement d'une réflexion personnelle relève de l'impossible.D'où le vacarme régnant lors de leurs réunions. C'est un bruit désagréable. Les personnes de ce cercle sont incapables de s'écouter, tels des animaux agités. Ils n'émettent pas des raisonnements, mais des sons, incohérents, des cris L'agitation générale va jusqu'aux pâmoisons L'agressivité du conformisme se déploie alors. [...]
[...] Il correspond à la description suivante, émise par le lecteur: tous ces connaisseurs ( . ) se laissent distraire si facilement . ils varient sans cesse, ils renient, ils oublient . Les conformistes apparaissent instables, comme le montre l'expression temporelle qui suit, en ce moment Le lecteur rabaisse les membres de la société dite intellectuelle qui porte davantage attention à son apparence qu'à sa connaissance véritable de l'art. Manquer de goût est plus pénible selon le personnage, que de chanter faux Le goût, en effet, est l'une des choses du monde les plus personnelles. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture