Confessions, Rousseau, littérature, romantisme, roman, partie III, xixe siècle, autobiographie, introspection
Avec les Confessions, qui fondent et fixent le genre de l'autobiographie, l'écrivain établit le passage d'une littérature de l'objet à une littérature du sujet dont l'influence a irrigué le courant du romantisme au XIXe siècle. Le passage que nous étudierons consiste en une introspection de la part du narrateur, qui fait de lui-même un portrait paradoxal donnant lieu à une peinture de sa difficulté à travailler. Ainsi, à première vue, ce texte s'offre comme la relation de l'échec de sa poétique, cependant que cet échec est contredit par le texte lui-même.
[...] Ainsi, une question implicite se fait jour dans l'esprit du lecteur : Rousseau ne serait-il pas en train de faire éclater, par le truchement d'une modestie feinte, son rôle incontournable dans le processus de la création littéraire ? On comprend ainsi beaucoup mieux la puissance d'une longue période comme celle qui va de « elles y circulent » à « j'attende » : le présent semble même revêtir une valeur non seulement générale mais narrative, comme si Rousseau était, au moment où il écrit, dans cette disposition d'esprit. De la même manière, la question « N'avez-vous point vu quelquefois l'opéra en Italie ? [...]
[...] Il ne se contente pas de décrire abstraitement le processus de création littéraire, mais le donne à voir en direct à travers une description en mouvement, imposant un rythme personnel au passage, d'une manière bien plus saisissante que s'il s'adressait uniquement à l'intellect. Ainsi, loin de séparer sans remède le sentiment de la pensée, l'extrait étudié figure leur alliance en conjuguant plaisir de la lecture et intérêt pour l'analyse. Ce choix est une affirmation de vision rousseauiste du monde, selon laquelle l'éducation de l'Homme n'a pas à être aride et sèche, mais vivante et inspirante. [...]
[...] Ce phénomène acquiert, sous la plume de Rousseau, la dignité d'une genèse créatrice. C'est ainsi que la phrase « Insensiblement ce grand mouvement s'apaise, ce chaos se débrouille, chaque chose vient se mettre à sa place » apparaît comme un écho de la création du monde qu'on lit au début de la Genèse biblique, où le chaos laisse place au cosmos (au sens grec de « monde ordonné »). L'allitération en sifflantes offre ici une certaine douceur qui correspond à l'absence de friction d'un moment d'apaisement, tandis que le rythme se prête à une lecture scandée : on compte douze syllabes jusqu'à la première virgule, et encore six jusqu'à la suivante ; la prose se fait poésie. [...]
[...] La dualité qui irrigue le passage, notamment du fait des nombreuses antithèses (dont on peut retenir « Je sens tout et ne vois rien », ou encore l'humoristique « je fais d'excellents impromptus à loisir ») fait de son auteur un Janus à deux visages. Cet autoportrait se structure autour d'un paradoxe néanmoins harmonieux. Parce que le substantif « choses » est volontairement imprécis, les premiers mots « Deux choses presque inalliables s'unissent en moi » incitent le lecteur à prêter attention à l'oxymore formé par les termes « inalliables », formé grâce au suffixe privatif, et « s'unissent », renforcé par le pronom réflexif. [...]
[...] De cette manière, Rousseau joue de façon virtuose sur l'illusion qu'on se trouve à ce moment au sein même de son esprit, adaptant intimement sa technique d'écriture à son sujet : cela correspond du reste à ce qu'il dit quand il affirme, dans le manuscrit de Neuchâtel, être préoccupé par l'invention d'un « langage aussi nouveau que [s]on projet ». C'est ainsi que Jean Starobinski constate la succession rapide d'un ton à l'autre, remarquant que Les Confessions utilisent des modèles divers sans jamais se fixer durablement dans un genre ou un registre. Nous avons vu que Rousseau écrit un autoportrait paradoxal qui se résout dans un jeu sur l'écriture. [...]
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