Laforgue, complainte, nostalgies, préhistoriques, commentaire, composé, poésie
« L'imagination qui, déployant la hardiesse de son vol, a voulu, pleine d'espérance, s'étendre dans l'éternité, se contente alors d'un petit espace, dès qu'elle voit tout ce qu'elle rêvait de bonheur s'évanouir dans l'abîme du temps » (Le second Faust, Goethe); et quelle déception, quand la réalité qui nous rattrape est insipide! C'est le même poète qui déclare « j'aime celui qui rêve l'impossible » (Faust); or justement, il aurait sans aucun doute apprécié la poésie de J. Laforgue. Ce dernier, représentant du symbolisme, montre combien le rythme du poème peut se modeler sur celui de la rêverie: point de structure rigide ni d'agencement monolithique dans notre extrait des Complaintes (1885). Au contraire, J. Laforgue reste fidèle à l'origine populaire de la complainte, chanson composée sans art ou avec une trivialité calculée; cette nonchalance va jusqu'à placer la nostalgie d'un passé semi-mythique au coeur du poème. Est-ce à dire pour autant que notre texte est dépourvu de toute profondeur, et se présente comme une simple parenthèse d'insouciance encadrée par la trop fade réalité? Non, bien sûr, l'enjeu est bien plus profond: il s'agit de retrouver la vérité de la vie, d'être à nouveau capable d'entendre la musique de l'existence. A cet égard, nous allons voir en quoi la « Complainte des Nostalgies Préhistoriques » nous présente un poète qui, résigné devant la vacuité de son époque et seul capable de rêver la plénitude de la vie, voile son pessimisme par un humour désinvolte. Nous considèrerons dans un premier temps l'insouciance comme fondement du poème; cela nous mènera à analyser la vision de la plénitude de l'homme, l'image d'un âge préhistorique semi-mythologique contenues dans notre texte. Enfin, il conviendra de souligner que l'échappatoire au réel demeure impossible, et que la résignation à la demi-vie est inéluctable.
[...] Les multiples liens entre la nourriture et l'amour charnel montrent bien cela : si on passe d'un thème à l'autre autour de la même image, c'est qu'il n'y a aucune différence fondamentale entre l'un et l'autre. Dans ce jardin d'Eden débridé, l'amour n'a rien de honteux ; mais évidemment, dès lors qu'on en sort, la société en fait un tabou. Autant la sexualité épanouie de l'âge d'or est placée, on l'aura remarqué, sous le signe de la féminité, autant ne vit-on plus aujourd'hui que : « . parmi des vierges débiles » (v. 34). [...]
[...] Nous considèrerons dans un premier temps l'insouciance comme fondement du poème; cela nous mènera à analyser la vision de la plénitude de l'homme, l'image d'un âge préhistorique semi-mythologique contenues dans notre texte. Enfin, il conviendra de souligner que l'échappatoire au réel demeure impossible, et que la résignation à la demi-vie est inéluctable. Si notre texte se présente comme un tableau pittoresque, c'est d'abord parce que la complainte est une chanson populaire: s'il arrive qu'elle évoque des sujets tragiques, elle le fait toujours avec souplesse et légèreté. [...]
[...] Il ne faut donc pas se méprendre : l'insouciance et la légèreté apparentes masquent la colossale profondeur de la « Complainte des Nostalgies Préhistoriques » ; sous un banal rejet du scientisme stérile, J. Laforgue esquisse les contours d'une vie efflorescente et accomplie. Il nous propose donc plus qu'un retour trivial à l'ignorance : il nous offre, pendant quelques secondes, l'image de quelque chose d'essentiel que nous avons perdu. Mais le tableau est fugace, et déjà il faut se résoudre à rouvrir les yeux : les regards que nous jetons alors autour de nous sont indéniablement amers. [...]
[...] Nous avons vu l'impossible actualisation du rêve ; nous voyons maintenant l'inéluctable médiocrité du réel. Quelle attitude adopter, à part la résignation ? C'est ainsi que le poète abandonne son rêve-réminiscence : constatant que la réalité l'a rattrapé, il n'a plus qu'à « Prendre un air imbécile » (v. 35) et se contenter d'une nourriture et d'une sexualité fades. Mais ne nous y trompons pas: point de lyrisme ici, la déception ne sert pas d'excuse à un épanchement solitaire du poète. [...]
[...] C'est qu'elle est tributaire de rejets: « Mal repu des gains machinals, On dîne » (v. et de rythmes ternaires: « Un moment, béer, sans rien dire » (v. 21). Remarquons enfin l'interjection au vers vingt-sept: « Oh devant la lune en son plein », Qui ressemble plus à une marque d'oralité qu'à un signe très littérarisé d'emphase. Bref, on ne peut qu'être frappé par la souplesse de la composition de notre "Complainte des Nostalgies Préhistoriques"; à l'opposé d'un bloc monolithique d'alexandrins, le poème possède une indéniable dimension oratoire, en ce que son rythme est versatile. [...]
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