[...] Le vrai travail rend « libre » et « heureux » v.34, alors que le travail des enfants asservit (« servitude imposée » v.17) et rend malheureux (« pas un seul ne rit » v.1). De plus, les adjectifs qualificatifs « libre » et « heureux » sont grammaticalement construits comme attributs et non comme épithètes, attributs constitutifs de l'humanité idéale rêvée lors de la révolution de 1848 à laquelle l'auteur des « Châtiments » a été sensible.
Par analogie avec la déesse de la justice mettant en balance les coûts et les avantages, l'écrivain recourt dans le vers 24 à la figure du parallélisme, formé de verbes transitifs et de leur complément d'objet direct, pour nous faire mesurer le grand écart entre l'actif (« produit la richesse ») et le passif (« en créant la misère »). Davantage, il met en lumière l'incompatibilité de nature entre le résultat obtenu (« la richesse ») et les moyens engagés (« la misère »). Hugo remet ainsi en cause le vieux principe cynique de la fin justifiant les moyens.
[...] Plus grave encore, les conséquences négatives de ce mauvais travail se traduisent sur le plan moral et intellectuel. Moralement puisqu'elles modifient le caractère des enfants en apportant la solitude (« cheminant seules » v.3, dont l'adjectif fait écho au substantif « seul » du vers 1), la tristesse répétée (« pas un seul ne rit » v.1 ; « jamais on ne joue » v.11). L'intelligence des enfants est contaminée par le désordre et la confusion : « ils ne comprennent rien » v.14. Elle est menacée de mort : « tue la pensée » v.19-20. Pour exprimer le résultat déplorable des conditions de travail, l'auteur recourt à un substantif particulièrement péjoratif « crétin » v.22 qui, en outre, était annoncé implicitement dans le mot « innocents » v.9 dans la mesure où sa valeur nominale peut aussi vouloir dire simple d'esprit.
Plusieurs des phrases relatives au labeur des enfants sont à la forme négative, amplifiée par la dimension hyperbolique de « pas un » v.1 et « jamais » v.11, ainsi que par le martèlement des six monosyllabes du second hémistiche du premier alexandrin « pas un seul ne rit ».
[...] Tout au long de son poème, et de façon de plus en plus percutante, l'auteur montre la gravité de la faute commise. Celle-ci est d'abord qualifiée des adjectifs péjoratifs « infâme » v.17, « insensée » v.19, « mauvais » v.23 ; puis le poète emploie des substantifs encore plus dépréciatifs comme « vice » v.30, « opprobre » v.31 signifiant ce qui humilie à l'extrême d'une manière éclatante et publique, ou des verbes comme « s'abâtardit » v.30, c'est-à-dire perdant les qualités de la race, déchu de la filiation légitime. (...)
[...] Ce pourrait être la faiblesse de son réquisitoire, alors qu'à la même époque les penseurs révolutionnaires comme Marx ou Proudhon pointaient du doigt la classe sociale des capitalistes. En vérité, par l'intermédiaire de ces notions générales, la vindicte hugolienne n'a pas de limite : elle vise tout homme ou femme, susceptible de se transformer en exploiteur, comme le romancier le montre dans Notre-Dame de Paris ou Les Misérables D'ailleurs, pour remédier à cette insuffisance et bien mettre en lumière leur responsabilité, l'écrivain effectue un retournement, un chiasme sémantique : alors que les enfants sont déshumanisés, ne sont pas considérés comme des personnes, dans la comparaison ainsi que d'un outil v.25, ou l'expression la retire à l'homme v.28, les machines sont personnifiées. [...]
[...] Ainsi l'extrême précision des détails confère à ce tableau un caractère objectif et démonstratif. 4ème idée directrice) L'analyse exhaustive des conséquences : Dans la même optique, l'écrivain fait une analyse exhaustive des conséquences que ces conditions de travail inhumaines produisent sur les enfants. Elles nuisent d'abord à leur santé par la maladie la fièvre maigrit v.2) et le retard de croissance rachitisme v.18). Le poète romantique accentue même les manifestations physiques des mauvaises conditions de travail par une double antithèse : au vers 12, le blanc de la pâleur contraste avec le gris-noir de la cendre ; au vers 13, l'adverbe de faible quantité à peine s'oppose au second adverbe d'intensité bien à valeur de superlatif absolu et mesurant l'extrême lassitude des enfants. [...]
[...] Dans son roman Les Misérables avec Gavroche et Cosette, il réitérera sa défense des droits de l'enfant. Ainsi, par ses multiples engagements, l'écrivain s'inscrit dans la lignée de Voltaire se battant pour réhabiliter Calas, et précède Zola qui accusera l'iniquité dont souffrait le capitaine Dreyfus. Mais, interdit dans les pays riches, le travail des enfants continue au XXIème siècle, dans les ateliers sordides de Colombie ou du Bangla-Desh, sans parler des enfants enrôlés comme soldats en Afrique. La lutte contre l'exploitation et l'oppression jamais ne s'arrête Qui, après Hugo, reprendra le flambeau de l'indignation ? [...]
[...] Le texte peut, en effet, être divisé en trois parties de longueur croissante. Du vers 1 au vers nous avons une même question reliée par l'ellipse du verbe où vont au début des vers 2 et 3. L'unité de ce tercet est également assurée par les points d'interrogation et par les présentatifs ces ces enfants/ ces doux êtres / ces filles La réponse au questionnement est apportée dans les vers 4 à 16, d'abord avec l'anaphore ils s'en vont / ils vont v.4 et puis avec les verbes d'état est v.10-12, sont v.13, semblent v.15) et les verbes au présent intemporel ils travaillent v.10, ils ne comprennent rien v.14), enfin avec la série des conséquences dégradantes de ce travail. [...]
[...] Celle-ci est d'abord discrète, comme le suggère la nature indéfinie du pronom on du vers 3 : renvoie-t-il au poète seul, ou également à ceux, parmi ses lecteurs, qui entrouvrent les yeux sur la dure réalité sociale ? Quoiqu'il en soit, la réserve initiale de l'auteur laisse toute leur place aux enfants. Son engagement ne s'extériorise qu'avec le point d'exclamation du vers 12 quelle pâleur ! et surtout avec l'interjection hélas v.14, puis ô v.17. Mais déjà le poète se fait porte-parole des enfants : ils semblent dire v.15. Il prend leurs intérêts à son compte. [...]
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