Apollinaire Si je mourrais là-bas Poèmes à Lou
Au début de la première guerre mondiale, Guillaume Apollinaire vit une passion brève et sensuelle avec Louise de Coligny, mais il est envoyé sur le front et doit la quitter. Il lui écrit des lettres et des poèmes qui paraîtront bien après sa mort, en 1947, sous le titre de Poèmes à Lou.
Dans l'enfer des tranchées, il écrit à celle qu'il aime en évoquant sa propre mort. Loin d'être triste, ce poème est plein d'espoir et de générosité : par sa mort, le poète distribue sa vie aux hommes.
On observera tout d'abord la déclaration d'amour que constitue ce poème, puis la lutte contre l'oubli grâce à la poésie, et enfin à travers de la métaphore de l'obus, nous verrons ce que le sang du poète apporte au monde.
[...] Il accepte l'idée qu'elle oublie, « Tu pleurerais un jour ». Le déséquilibre des sentiments entre les deux amants est frappant : dans cette lettre d'outre-tombe qu'il conclut par une déclaration passionnée « Ô mon unique amour et ma seule folie », et la place qu'il pense occupé dans son cœur à elle, le deuil d'une seule journée. Cet amour lucide et généreux est, en effet, unique. Le poète exprime donc sa grande passion, mais il est cerné par la mort. [...]
[...] Nous avons donc vu comment le poète concilie sa passion amoureuse et la peur de la mort. Mais ce poème va plus loin en donnant un rôle plus grand encore au poète qui régénère le monde par son sang. Les sociétés primitives sacrifiaient rituellement un de leurs membres pour le salut de l'ensemble de la collectivité. N'est-ce pas une interprétation possible de ce rituel périodique de la guerre où les sociétés envoient à la mort leurs jeunes gens ? Le poète se représente souvent comme cette victime, et d'Orphée au Chatterton de Vigny, nombreux sont les artistes morts avant l'âge pour féconder le monde de leur génie. [...]
[...] D'abord comparé à une superbe fleur, les «mimosas », il s'étend au monde entier, dans un extraordinaire élargissement spatial horizontal et vertical de la deuxième strophe, «La mer les monts les vals et l'étoile ». Peut-être la forme circulaire du poème traduit-elle cette régénérescence. Apollinaire a composé cinq quintils, ce qui impose une rime triplée, suivis d'un vers isolé. Or, la disposition de ces rimes est toujours différente : AABAB, ABAAB, AABAB, AABBA, A. Cela révèle un soin particulier dans la composition, alors que l'absence de ponctuation donne une apparence de vers libres. Il n'en est rien, ce sont des alexandrins au rythme très classique. [...]
[...] Tout les témoins de cette période en ont décrit l'horreur. Le poème transfigure le monde : dans d'autres poèmes à Lou, la lettre elle-même devient un obus, « Je t'envoie, ô ma Lou, un obus éclaté. » Ici, les obus mortels deviennent le support du souvenir. Apollinaire file une superbe métaphore, qui évolue au courant du poème. L'obus, comme le poète lui-même, tombe et disparaît, « Mon souvenir s'éteindrait », mais reviendra en éclatant, et en couvrant du sang du poète le monde entier, et en particulier le corps de Lou. [...]
[...] Il leur apporte le bonheur : « Mon sang, c'est la fontaine ardente du bonheur » . Dans les pires circonstances, le poète dépasse le réel, le transfigure et, à sa façon, dénonce la folie des hommes par son message d'amour. La poème d'amour est donc d'abord original par son intensité et sa générosité. Mais il va plus loin en donnant une leçon d'amour à tous les hommes. Apollinaire touche donc à l'essence même de la poésie : transformer le monde par sa vision des choses, créer une nouvelle expression et renouveler les images, nous apprendre à vivre. [...]
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