Pour un pays dont l'identité s'articule depuis la Révolution de 1789 autour du concept de « patrie des droits de l'homme », les manifestations d'universalisme constituent des affirmations d'une hégémonie culturelle servie par des dominations matérielles et concrètes dont l'exemple le plus abouti est sans doute le phénomène de colonisation. Pourtant, cette domination n'est jamais exprimée comme telle, et dans le cas français, elle se pare volontiers d'un prétexte de civilisation. Maurice Barrès désigne cette réalité historique et intellectuelle en la comparant à une distribution « à domicile des idées françaises » (Les déracinés, Barrès, 1897).
[...] La traversée d'un Paris mythifié que raconte Barrès concourt également à restaurer une unité nationale mise à mal par les troubles politiques et militaires. Or il est difficile de ne pas voir dans ces expressions patriotiques la trame caractéristique des nationalismes européens, auxquelles la France n'échappe pas au tournant du 19ème siècle. Le patrimoine physique, emblème du patrimoine immatériel L'arc de triomphe, symbole ambigu de la domination française Dans ce récit à la gloire de la France, il est frappant de noter que les édifices constituent la matérialisation concrète de la supériorité supposée de la France. [...]
[...] Un support d'expression patriotique confinant au nationalisme Mais ce qui frappe dans le texte de Barrès est sans doute l'assurance patriotique de sa tonalité. Bien que Barrès formule lui-même des réserves sur la réalité et la durabilité de l'unité nationale, (en évoquant notamment la naïveté du peuple), sa vision se déploie dans un imaginaire national conquérant, assuré de sa supériorité et de la mission que la France se doit de remplir pour le monde. Car si la cérémonie de panthéonisation offre une lecture républicaine civilisatrice et pacifique en semblant mettre à l'honneur l'esprit et le caractère progressiste du régime, il n'en reste pas moins que ce discours offre une parenté directe avec le mouvement de colonisation dans lequel la France s'est engagée. [...]
[...] En cela, cette figure réalise une fois encore l'unité avec le passé religieux de la France, sa capitale actuelle et son ambition universaliste. De ce fait, la « montagne » permet à la fois d'établir la centralisé de ce lieu et son inscription dans la tradition romaine (la ville aux sept collines) tout en intégrant une autre dimension caractéristique de la France : le savoir universitaire jésuite. La Sorbonne et les différents collèges qui s'y trouvent remplissent donc un rôle très concret de caution intellectuelle à la puissance française : elle fonde la légitimité de sa domination non pas du côté de sa supériorité militaire, mais bien en raison du message que le pays entend exprimer au-delà de ses frontières. [...]
[...] Paris, témoignage concret de l'expansion française Dans ce contexte, Paris ne joue pas seulement le rôle de capitale nationale, Barrès conformément à son époque la dépeint comme un centre mondial (elle l'est et le sera de plus en plus avec la Belle époque, d'un point de vue culturel, artistique mais aussi scientifique et militaire) dans lequel le Panthéon remplit un rôle de centre spirituel. Les débats ultérieurs concernant la nécessité de restaurer ou de supprimer la croix chrétienne qui était à l'origine fixée au-dessus de sa coupole illustre bien les conflits identitaires qui agitent alors la France. [...]
[...] Enfin, nous verrons comment s'articule, dans cette nouvelle mythologie, l'institution éducative récemment créée. Les grands hommes, éclaireurs de la Nation La cérémonie de panthéonisation Victor Hugo, une manifestation de « la grande pensée du pays » La description que fait Maurice Barrès de l'entrée au Panthéon de Victor Hugo permet de saisir à la fois la solennité et la ferveur de cet événement particulier. Véritable messe laïque nous sommes à moins de huit ans des lois de séparation de l'Eglise et de l'Etat lorsque Barrès publie Les déracinés la cérémonie donne à voir la dimension nationale forte de cet événement ainsi que le paradoxe de son principe même : la figure de Victor Hugo permet d'agréger à la fois les prétentions hégémoniques françaises portées par sa jeune République, de même que la sympathie des classes populaires qui se retrouvent dans l'oeuvre de Victor Hugo. [...]
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