Commentaire de texte de l'incipit d'Enfance de Nathalie Sarraute noté 17 par une des membres du jury de l'agrégation (université Lille III). Très détaillé, avec de nombreuses notes de bas page, réflexions annexes sur l'expérience autobiographique et l'esthétique du Nouveau Roman.
[...] A chaque phrase en allemand fait suite une traduction en français : « Ich werde es zerreissen » « Je vais le déchirer », « Nein, das tust du nicht. » « Non tu ne feras pas ça » La traduction (du latin traducere « faire passer, conduire au-delà ») véhicule une dialectique du même et de l'autre que nous supposons être la métaphore du glissement de Sarraute à Tcherniak. Ajoutons qu'elle symbolise la métamorphose du premier dialogue (p.7 à p.10) vers le second (p.10 à p.13) se faisant écho l'un l'autre, tout comme la traduction assure un passage plus ou moins symétrique. [...]
[...] Tout d'abord, l'écriture dialoguée perturbe la notion de genre définit comme « récit» puisque Enfance fait preuve d'une écriture entre théâtre (discours direct) et discours (monologue intérieur). Elle bannit les connecteurs logiques[6] (exemples : dit Jeanne, répondit Paul) pour ne pas séparer le dialogue de ce qui le précède par l'entremise d'un fragment de récit. Les critères de définition du récit sont ici absents : passé simple, pronoms personnels à la troisième personne, adverbes de temps. Nous pouvons aussi douter du concept de « prose » tant les ruptures narratives et la construction de l'œuvre en séquences brisent la linéarité chronologique. [...]
[...] On retiendra la célèbre phrase de Flaubert : « Madame Bovary, c'est moi ». Nathalie Sarraute, « De Dostoïevski à Kafka », op. cit. Cf G. Groddeck, Le livre du ça. Ann Jefferson, op. cit. On constate que cet accouchement est plus douloureux et violent que la maïeutique ; cette dernière étant peut-être un stade préparatoire. [...]
[...] S'ensuit une sorte d'anaphore de « Nein, das tust du nicht », effets typiques de la poésie (p.10-13). La prosodie n'est pas oubliée tant Sarraute insiste sur l'intonation de la jeune professeur d'allemand : « en appuyant très fort sur chaque syllabe », « exerçant une douce et ferme et insistante et inexorable pression », « le ton des hypnotiseurs, des dresseurs », p.12. Dés lors, le lecteur doit s'interroger sur le degré d'authenticité de l'autobiographie voire redéfinir cette notion à l'aune du Nouveau Roman. [...]
[...] Parfois piégés par une mystérieuse paroi, ces mots sont dotés de pensées ainsi que d'un désir puissant de franchir la paroi en y creusant une ouverture. Jorge Calderon interprète le titre dans ce sens : « Nous pourrions comprendre qu'il faut disposer une ouverture afin qu'il y ait communication entre l' « intérieur » et l' « extérieur » ; ou séparer, écarter, déployer, étendre, étaler quelque chose[31] ». On retrouve dans le langage, sinon une personnalité, le poids des paroles et leur pouvoir d'incitation : « elles appuient, elles pèsent ». [...]
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