Commentaire du Prologue de "L'Heptaméron" de Marguerite de Navarre
[...] Par ailleurs tous les personnages présents ont subi une épreuve initiatrice et sont tous rescapés d'une nature hostile (la crue peut renvoyer au déluge à l'image de la peste chez Boccace, autre châtiment divin). Ils ont été dépouillés du superflu, richesses et domestiques. Ils ont tous lu la Bible et la pratiquent assidûment dans les périodes de dévotion. Nous sommes dans un environnement proche des cénacles réformés. Marguerite se souvient de Thélème et reprend cet environnement comme support à ses récits. [...]
[...] Par convention elle introduit ici l'éloge de Boccace et de son recueil afin de se placer dans une tradition et de cautionner ce passe-temps par l'intérêt des puissants. Toutefois elle se démarque de l'Italien afin de proposer son pacte d'écriture, qui repose sur la véracité (crédibilisée par le statut même des déviants) et sur le refus de la rhétorique. De plus elle définit un cadre qu'elle impose par la durée du récit en choisissant une période limitée dans la journée « depuis midi jusqu'à quatre heures ». [...]
[...] Comme ce pacte de lecture implicite éclaire-t-il la fin du prologue de l'Heptaméron ? Nous verrons dans un premier temps comment la narratrice cherche à créer une double illusion référentielle, avant de nous intéresser au genre défini dans ce passage. Enfin nous chercherons à déchiffrer les clés que Marguerite de Navarre propose au « suffisant lecteur » qu'elle convoque. Ce prologue cherche tout d'abord à crédibiliser à la fois le groupe de déviants et les nouvelles qu'ils vont proposer. Le cadre spatio-temporel est peu marqué mais le thème de la crue est très vraisemblable. [...]
[...] Après dîner, ils envoyèrent savoir si les eaux n'étaient point écoulées, et, trouvant au contraire qu'elles étaient montées et que de longtemps ils ne pourraient sûrement passer, ils se délibérèrent de faire un pont sur le bout de deux rochers qui sont fort près l'un de l'autre, où il y a encore des planches pour les gens à pied qui, venant d'Oléron, ne veulent pas passer par le gué*. L'abbé fut bien aise qu'ils fissent cette dépense, et afin que le nombre des pèlerins et pèlerines augmentât, il les fournit d'ouvriers ; mais il n'y mit pas un denier, car son avarice ne le permettait. [...]
[...] Sitôt que le matin fut venu, ils s'en allèrent en la chambre de madame Oisille, laquelle ils trouvèrent déjà en ses oraisons. Et, quand ils eurent ouï une bonne heure sa leçon et puis dévotement la messe, ils s'en allèrent dîner à dix heures, et après chacun se retira en sa chambre pour faire ce qu'il avait à faire. Et ils ne faillirent* pas à midi, selon leur délibération, de s'en retourner au pré, qui était si beau et plaisant qu'il avait besoin d'un Boccace pour le dépeindre à la vérité ; mais vous vous contenterez que jamais il n'en fut vu un plus beau. [...]
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