Après Hernani en 1830, Hugo revient à l'histoire de l'Espagne avec le drame romantique Ruy Blas qu'il donne en 1838 au Théâtre de la Renaissance, théâtre bien nommé puisqu'il sera consacré aux drames plus modernes. En cinq actes et en alexandrins, Hugo entremêle deux thèmes : celui de la vengeance de don Salluste, exilé par la reine Marie de Neubourg, épouse de Charles II, thème qui lance l'intrigue de la pièce, et celui de l'amour impossible entre la reine d'Espagne et le laquais de Salluste, Ruy Blas, qui est l'instrument de la vengeance.
Dans l'acte I, Salluste a minutieusement mis en place son stratagème, en donnant à Ruy Blas l'identité de don César de Bazan (I, 4-5), son cousin qu'il a vendu aux corsaires ; il avait entendu (I, 3) que son laquais était amoureux de la reine et se désespérait de sa condition. L'acte II s'ouvre sur un autre décor, celui des appartements de la reine, qui donne son titre à l'acte et apparaît pour la première fois, entourée de ses suivantes et d'un vieux soupirant, don Guritan : elle subit la rigueur de l'étiquette et se sent abandonnée par son mari. Dans la scène 2, seule et en prière, elle exprime librement ses sentiments dans un monologue.
[...] L'épanchement se traduit alors par d'abondantes marques du registre lyrique :
- Exclamations, interjections, apostrophes nombreuses : pas moins de 16 exclamatives entre les vers 753 et 786 ; « Oh ! » (v.756, 777), « Dieu ! » (v.757), « Hélas ! » (v.784) ; des phrases exclamatives constituées d'un ou deux mots : « Seule ! » (v.754), « Mais lui ! » (v.767) renforcée au début du vers suivant : « Blessé ! » ;
- des tirets fréquents qui indiquent le désordre dans lequel s'expriment les divers sentiments et pensées (v.757, 767-768, 777, 785, 790-791, 793, 805), comme un trop-plein qui n'est pas canalisé. Ces tirets complètent la ponctuation expressive.
- Le lexique du sentiment est présent : « mes pleurs », v.763, « affligé », v.792 ; une didascalie évoque son « sourire triste » ; le verbe « aimer », v.803, est repris v.804. La première personne est évidemment récurrente, sujet des verbes (v.764-766), ou objet (le pronom « me » est extrêmement fréquent, parfois développé par apposition : tout le vers 755, « Pauvre esprit sans flambeau dans un chemin obscur ») ; on trouve encore « mon coeur » (v.775). (...)
[...] Le lyrisme est à sa manière aussi, un moyen de créer le couple de la pièce. - Ce monologue permet enfin une célébration du Romantisme et le rappel d'une filiation : la fleur bleue fait écho au roman de Novalis Henri d'Ofterdingen (1811). Ce poète romantique allemand raconte la légende d'un trouvère médiéval en quête d'idéal, et qui découvre la fleur bleue, Die blaue Blume dont la poésie allitérative est plus sensible en allemand. Cette fleur finit par symboliser l'amour absolu du héros pour Mathilde, l'union du rêve (rencontrer l'Amour) et de la réalité (le personnage de Mathilde et leur amour réciproque), union que le Romantisme s'est souvent donné comme objectif. [...]
[...] Dans sa lettre Ruy Blas se compare à un ver de terre amoureux d'une étoile image à laquelle l'antithèse donne une solennité mais qui n'en est pas moins burlesque. - Enfin, on ne doit pas ignorer que la reine trouve une consolation à ses malheurs : Elle apaise sa solitude en créant des interlocuteurs : elle s'adresse ainsi au jeune homme inconnu (v.768), longuement (jusqu'au vers 776 : Sois aimé ( ) sois béni ( ) La lettre de Ruy Blas a une présence telle que la reine la personnifie : Elle est là qui m'attire (v.790), et c'est autour d'elle que les mouvements s'organisent : qu'elle jette sur la table Se tournant à demi vers la table fait quelques pas vers la table ( ) se précipite sur la lettre pose la lettre sur la table Enfin, par la prière, elle s'adresse à la Vierge madame v.786, et deux fois v.789, puis reine de douceur v.791), comme elle l'a fait avec Dieu (v.765). [...]
[...] Globalement, on observe la présence d'éléments purement romanesques : - La rêverie sur la blessure de Ruy Blas est l'occasion d'un pastiche des romans d'aventure et des romans galants, mêlant sensations fortes et restes de courtoisie médiévale : visions effrayantes : la main sanglante empreinte sur le mur qui déclenche la rêverie, les pointes de fer le morceau de dentelle [qui] y pen[d] et matérialise ce qui aurait pu se produire de plus grave, par le biais du verbe employé. [...]
[...] La scène 2 répond à l'effet d'attente créé dès la 3 de l'acte où Ruy Blas apprenait à don César ses sentiments pour la reine (v.366). Ceux de la reine y font écho ici, en plus de la lettre d'amour, et de la fleur dont Ruy Blas a longuement parlé : v.397-412, elle aime une fleur bleue ( banc, ( bouquet, ( lettre, ( ) broussailles de fer ( ) murailles ( ) je suis un insensé Mais aussi, les signes marquants de cette scène permettront la reconnaissance dans la scène suivante (la dentelle déchirée et la blessure), en plus des trois jours : Voilà trois jours que j'ai quitté Madrid (v.848). [...]
[...] Ce besoin est puissant comme une nécessité il faut bien et trois accents soulignent le vers par une assonance : enfin / bien / quelqu'un Le rejet en fin de vers du pronom moi avec l'exclamation, traduit bien à la fois l'isolement et l'impatience de la reine, impatience aussi amenée par l'adverbe enfin Ce besoin est encore métaphorisé par la soif de l'âme v.801, soif qui lui ferait même boire du poison cette extrémité étant soulignée par l'exclamation. Si la lettre de son soupirant mystérieux l'attire aussi irrésistiblement Elle est là qui m'attire. v.790 et c'est ce que dit littéralement la didascalie), et la brûle (v.777), c'est qu'elle est l'expression de l'amour, et que cet amour lui est adressé. [...]
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