Le recueil des Orientales de Victor Hugo était tout d'abord une façon pour son auteur, chef de file d'une jeunesse lasse du classicisme de ses prédécesseurs, d'illustrer ses propos exposés dans la préface de Cromwell en 1827, préface plaidant surtout pour la « liberté de l'art contre le despotisme des systèmes, des codes et des règles ». Ainsi le recueil se veut illustrer la liberté dans l'art en rompant avec les règles classiques de la versification : formes stupéfiantes, rythmes d'une musicalité audacieuse, sujets atypiques. Mais ce recueil voit aussi le jour dans le contexte précis d'une l'indignation de plus en plus large suscitée par les massacres perpétrés par les Turcs après les soulèvements grecs des années 1820. Et si Hugo fait certes preuve de philhellénisme, il n'en reste pas moins que l'écrivain engagé a, compte tenu de l'ensemble du recueil, l'originalité de respecter les deux points de vue grec et turc. Le poème X semble certes prendre le point de vue des Grecs martyrisés, mais il n'émet réellement aucun jugement et reste assez laconique et implicite quant aux souffrances infligées. Ce poème X, « Clair de lune », représentatif de ce problème politique de portée internationale qui touche particulièrement les jeunes générations dites romantiques (Byron s'engage, Chateaubriand, Benjamin Constant appellent à aider la Grèce par exemple), illustre bien cette volonté de liberté en art. Composé de cinq quatrains en alexandrins, « Clair de lune » porte sur un sujet inaccoutumé, présente de nombreux contrastes savamment orchestrés, des rythmes et des sonorités surprenantes ainsi que des images puissantes et variées, lesquelles ménagent la révélation terrible et pressentie de la fin. Mais par quels moyens précisément le poète parvient-il à créer un tel effet de surprise chez le lecteur ? Comment arrive-t-il à créer cette impression de beauté orientalisante et presque mystique de la nature, parée d'images virtuoses, laissant en même temps entrevoir une extraordinaire cruauté? Il semble à première vue que la perspective, le point de vue de la description, jouent en faveur d'un déploiement et d'une collaboration de tous les sens dans la mise en œuvre des images. Mais il apparaît tout aussi clairement que le poème exploite un système complexe de contrastes, ménageant et annonçant en même temps la révélation de la fin. Alors seulement ressort l'ambivalence fondamentale du monde naturel dans le poème, entre beauté et cruauté, innocence et participation au crime.
[...] Sont-ce les doigts qui vibrent sous l'action d'un trouble soudain ou la guitare lors de la chute ? L'intérieur de la chambre en effet se tait, la musique s'arrête pour laisser parler l'extérieur. Les trois points de suspension après Elle écoute (vers incitent le lecteur à se laisser aussi porter à l'extérieur par les sons du poème. Mais le verbe frappe (vers exige aussi une représentation visuelle parce qu'il induit un mouvement, un émetteur et un récepteur concrets, le bruit est donc matérialisé, il frappe les sourds échos de la mer. [...]
[...] Le verbe broder sollicite aussi dans l'esprit le toucher, l'image de dentelles, de finesse se détachant sur la terre noire des îlots. Cette image particulièrement riche donne une impression de douceur, d'autant plus que le rythme du vers 2/4/6 (là-bas d'un flot d'argent brode les noirs îlots) berce le lecteur. Le regard est également emporté par la force de l'image du vers 5 où le participe présent en vibrant vient s'insérer en facteur commun entre les doigts et la guitare. [...]
[...] Commentaire du poème X des Orientales (Victor Hugo): Clair de lune Clair de lune La lune était sereine et jouait sur les flots. La fenêtre enfin libre est ouverte à la brise, La sultane regarde, et la mer qui se brise, Là-bas, d'un flot d'argent brode les noirs îlots. De ses doigts en vibrant s'échappe la guitare. Elle écoute . Un bruit sourd frappe les sourds échos. Est-ce un lourd vaisseau turc qui vient des eaux de Cos, Battant l'archipel grec de sa rame tartare ? [...]
[...] Les hommes sont en quelque sorte désignés par métonymie, ce sont leurs sanglots, leur souffrance qu'on retient d'eux. Le vers 19 s'oriente lui aussi dans ce sens : le poète utilise le comparatif comme pour ne pas dire assurément que ce sont des hommes, il laisse encore à l'œuvre l'imagination du lecteur, et ce comparatif associé aux points de suspension indique le mystère terrible, le secret des crimes qui s'opèrent dans l'ombre, que l'on peut tout juste deviner par une soirée paisible où la nature semble dissimuler ces forfaits et en être complice. [...]
[...] Le là-bas en rejet montre bien cette dissidence de la nature qui s'éloigne pour aider au crime. Cette syntaxe dérangée indique que cette tranquillité n'est qu'une apparence. Ces occupations anodines que sont le fait de jouer, de broder, de bercer, de promener, ne sont que des masques pour le crime, la nature cache les criminels et ôte toute justice humaine. Un exemple de ce masque peut-être l'écume de la mer au vers 4 assimilée à de la dentelle, à des fils blancs qui broderaient des îlots noirs, donnant une impression de familiarité, d'un foyer chaleureux, où la dame de maison brode. [...]
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