Cet extrait de la scène 3 de l'acte III met en scène trois personnages : Perdican, malheureux d'avoir été éconduit par Camille, déclare sa flamme à Rosette, la soeur de lait de cette dernière, en présence même de celle qu'il a aimée. Ce procédé de théâtre dans le théâtre vise Camille mais risque fort de blesser Rosette qui ignore la perfidie du rôle que joue Perdican.
I- Un stratagème pour atteindre Camille
a- Le procédé de théâtre dans le théâtre
Dans sa volonté de tromper Camille en la faisant spectatrice de sa rencontre avec Rosette, cet extrait révèle au lecteur-spectateur un Perdican à la fois acteur et metteur en scène :
- les didascalies indiquent clairement que le jeune homme règle sa voix ("à haute voix, de manière que Camille l'entende") tout comme le regard de Camille témoigne de ses gestes ("Il a jeté ma bague dans l'eau", ligne 15)
- il organise également les déplacements de sa partenaire, faisant asseoir Rosette (ce qu'indique la didascalie initiale "Entrent Rosette et Perdican qui s'assoient"), puis lui demandant de se lever par un emploi de l'impératif qui fait entendre la voix du metteur en scène qui dirige ses acteurs ("Lève-toi, et approchons-nous de cette fontaine", ligne 7)
- il donne même le sentiment au lecteur-spectateur qu'il vérifie le degré d'attention de son public lorsque, par la multiplication des impératifs parfois mis en valeur par une modalité exclamative, il enjoint Rosette de regarder et d'écouter ("Regarde", lignes 7, 9, 10 et 13 ; "Écoute", ligne 16), conviant ainsi Camille à faire de même. De fait, Camille ne perd rien de la scène qui se joue sous ses yeux ("Je suis curieuse de savoir ce qu'il lui dit", ligne 2 ; "Il a jeté ma bague dans l'eau", ligne 15) et réagit avec l'indignation que le metteur en scène escomptait et dont témoigne l'accumulation des interrogatives (...)
[...] (Il jette sa bague dans l'eau.) 10 Regarde comme notre image a disparu ; la voilà qui revient peu à peu ; l'eau qui s'était troublée reprend son équilibre ; elle tremble encore ; de grands cercles noirs courent à sa surface ; patience, nous reparaissons ; déjà je distingue de nouveau tes bras enlacés dans les miens ; encore une minute, et il n'y aura plus une ride sur ton joli visage ; regarde ! c'était une bague que m'avait donnée Camille. CAMILLE, à part Il a jeté ma bague dans l'eau. PERDICAN Sais-tu ce que c'est que l'amour Rosette ? Écoute ! le vent se tait ; la pluie du matin roule en perles sur les feuilles séchées que le soleil ranime. Par la lumière du ciel, par le soleil que voilà, je t'aime ! [...]
[...] Son commentaire en aparté montre bien qu'elle suit parfaitement cet épisode : Il a jeté ma bague dans l'eau (ligne 15). Le procédé de Perdican atteint donc son but : Camille est le témoin privilégié et attentif de sa déclaration à Rosette. Mais si Camille, accusée peu après cet extrait d'avoir la tête à la place du cœur risque de comprendre qu'il ne s'agit que d'une mise en scène, Rosette, en revanche, pourrait bien être la victime de la vengeance du jeune homme. [...]
[...] tu veux bien de moi, n'est-ce pas lignes 17-18 ; te voilà jeune et belle dans les bras d'un jeune homme, ligne 20). - d'ailleurs, Perdican est de plus en plus féroce avec Camille. Il en fait d'abord une victime de l'influence des sœurs qu'elle a rencontrées, désignées par un on méprisant (On n'a pas flétri ta jeunesse ? On n'a pas infiltré dans ton sang vermeil les restes d'un sang affadi lignes 18- puis, toujours en l'opposant à sa sœur de lait, il la juge responsable de son attitude, comme le suggère le verbe vouloir (Tu ne veux pas te faire religieuse, lignes 19-20). [...]
[...] À cette fin, il loue Rosette, qui n'a pas oublié l'enfance qu'ils ont vécu tous les trois ensemble (toi seule au monde tu n'as rien oublié de nos beaux jours passés ; toi seule tu te souviens de la vie qui n'est plus, lignes 3-4). Le rythme binaire et la double formulation (d'abord négative, puis positive) soulignent cette qualité de la jeune paysanne, tandis que la répétition de la formule d'insistance toi seule est destinée à culpabiliser Camille qui pour sa part, beaucoup changé au contact des religieuses que rappelle la réplique de Perdican qui suit immédiatement cet extrait. [...]
[...] Il lui pose sa chaîne sur le cou. ROSETTE Vous me donnez votre chaîne d'or ? PERDICAN Regarde à présent cette bague. Lève-toi, et approchons-nous de cette fontaine. Nous vois- tu tous les deux, dans la source, appuyés l'un sur l'autre ? Vois-tu tes beaux yeux près des miens, ta main dans la mienne ? Regarde tout cela s'effacer. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture