[...] Ecrit en 1844, Modeste Mignon, qui s'insère dans cet ensemble, est un roman qui prend place dans les Etudes de moeurs et plus particulièrement dans les Scènes de la vie privée.
D'un caractère un peu atypique dans la production balzacienne, Modeste Mignon est un roman « à la fois simple et poétique, intéressant et littéraire, piquant, tendre et comique » qui joue avec les genres et multiplie les références inattendues, tempérant la veine quelque peu sentimentale dans laquelle il s'inscrit par une fine et puissante ironie. Dans ce court récit, dont la première partie est scandée par des échanges épistolaires qui participent grandement au développement de l'intrigue, Balzac entreprend de dresser le portrait d'une jeune fille à l'imagination romanesque et ardente, vivant dans l'ennui et la banalité d'une vie étriquée de province, parmi des adultes qui la surprotègent. Charmée par le portrait et par les poèmes sentimentaux d'un illustre poète parisien du nom de Canalis, Modeste prend l'initiative audacieuse de lui écrire une lettre dans laquelle elle lui exprime son admiration et le désir de correspondre avec lui. Lassé d'être courtisé par des admiratrices inconnues, le baron de Canalis, homme arrogant et insensible, laisse à son secrétaire - après avoir médit des femmes, le plaisir de répondre à sa place à la lettre de la demoiselle
[...] Mais loin de ne nous donner à voir qu'une lettre argumentée au ton moralisateur et la réaction suscitée chez la destinatrice par celle-ci, l'extrait que nous étudions est surtout caractérisé par la mise en exergue d'une thématique essentielle du roman, qui est celle du combat entre le Rêve et la Réalité. Dans sa lettre du 16-17 mars 1844 à Mme Hanska, Balzac lui-même désigne l'histoire de Modeste comme « la lutte entre la poésie et le fait, entre l'illusion et la société ».
On peut dire que dans Modeste Mignon, tandis que la Brière apparaît comme l'incarnation du Réel, la jeune fille semble être le symbole du Rêve. Cette opposition est rappelée tout au long du roman par les attitudes comme par les commentaires du narrateur ou des autres personnages, Ernest étant décrit comme Charles Mignon comme un homme « positif » tandis que Balzac définit clairement Modeste dans le long portrait moral qu'il fait d'elle comme une jeune personne romanesque et exaltée. Dans cette lettre, cette dualité apparaît de façon particulièrement marquée, notamment en raison du ton paternaliste et moralisateur dont nous avons parlé tout à l'heure qui y enveloppe les idées raisonnables exprimées par Ernest.
Cette intrusion du réel par le biais de la lettre écrite par le jeune homme dans l'univers poétique de Modeste commence par l'entreprise de démystification qu'il entreprend à propos des poètes. (...)
[...] ] ? Par ailleurs, comme nous l'avons dit, cette réponse du secrétaire de Canalis a une fonction argumentatrice très claire. Une petite analyse de ce texte montre que cette lettre a un côté très construit, très artificiel, très travaillé. Il s'agit vraisemblablement pour la Brière d'aller droit au but. Presque toute la lettre semble construite pour convaincre et persuader la jeune fille du bien-fondé des remarques faites par le jeune homme. [...]
[...] La lettre d'Ernest est en outre remplie de considérations morales sur ce que doivent être les jeunes filles. On constate tout d'abord que dans la conception qu'il se fait des devoirs de ces dernières, une vertu sévère est exigée d'elle, puisque le seul fait d'écrire sans avoir la permission des parents à un poète que vous ne connaissez pas personnellement lui dit le jeune homme, a tout l'air d'une dépravation (l.33) et rentre en opposition avec l'exigence d'une vie sainte, pure, irréprochable au point que, Ernest n'en doute pas, cela causerait de grands chagrins (l.11) à son père et sa mère s'ils l'apprenaient. [...]
[...] Ce côté moralisateur et prétentieux apparaît également dans la tendance fréquente chez le jeune la Brière à adopter un ton sentencieux, comme en témoigne notamment les expressions L'admiration pour les belles œuvres [ . ] comporte je ne sais quoi de saint et de candide qui défend contre toute raillerie et justifie à tout tribunal la démarche que vous avez faite en m'écrivant tant l'amour-propre est une substance peu réfractaire à l' éloge ou encore la palme d'une jeune fille est la fleur d'une vie sainte, pure, irréprochable On peut relever également : Un poète est la plus triste conquête que puisse faire une jeune fille ou comme les femmes ne mettent jamais les pieds dans le monde des réalités Il s'exprime effectivement comme si une grande expérience lui avait permis de saisir l'essence des choses et d'avoir de grandes idées générales bien fixes sur la vie et les êtres humains. [...]
[...] Il est possible d'imaginer en effet qu'à travers cette phrase, Ernest fait une allusion voilée au dédain manifesté par Canalis lors de la discussion qu'il a eu avec lui, pour ces jeunes filles sans grand intérêt qui lui envoient des lettres. On peut d'ailleurs supposer que si Ernest se montre si ferme lorsqu'il reproche à Modeste d'avoir écrit à un poète inconnu, ce n'est pas seulement dans l'idée que cela témoignerait de goûts et d'aspirations qui pourraient la détourner de ce qui doit être tout l'ambition d'une jeune fille le mariage et la maternité et qu'ayant appris à connaitre les vices des poètes au contact de Canalis, il y a chez lui un désir sincère de lui éviter des mauvaises rencontres. [...]
[...] Dans sa lettre du 16-17 mars 1844 à Mme Hanska, Balzac lui-même désigne l'histoire de Modeste comme la lutte entre la poésie et le fait, entre l'illusion et la société On peut dire que dans Modeste Mignon, tandis que la Brière apparaît comme l'incarnation du Réel, la jeune fille semble être le symbole du Rêve. Cette opposition est rappelée tout au long du roman par les attitudes comme par les commentaires du narrateur ou des autres personnages, Ernest étant décrit comme Charles Mignon comme un homme positif tandis que Balzac définit clairement Modeste dans le long portrait moral qu'il fait d'elle comme une jeune personne romanesque et exaltée. [...]
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