Dans les représentations occidentales de l'orient, l'eunuque est sans doute une des images les plus étonnantes, intrigantes et même repoussantes. Il semble être le symbole non seulement du sérail mais aussi d'une certaine barbarie orientale. Montesquieu fait écho à ces représentations dans cette 9eme lettre des Lettres Persanes dans laquelle le premier eunuque du sérail d'Usbek raconte sa triste vie à un autre esclave d'Uzbek, Ibbi, parti avec son maître dans son périple en occident. Que peut donc bien révéler cette lettre sur le sort de l'eunuque et sur sa position clé au sein du sérail ? Comment Montesquieu exploite-t-il ce récit de vie à la fois pour dévoiler un peu plus l'univers mystérieux du sérail et pour faire passer des idées politiques et morales plus générales ?
[...] Cette lettre continue en effet à esquisser un monde plein de volupté, même si cela s'avère dangereux pour l'eunuque. Notre imaginaire est ainsi conforté dans ses représentations du sérail. L'évocation des corps reste effectivement très présente, aussi bien pour les femmes : « femmes » « charmes » « mille grâces naturelles », que pour le maître qui est « enflammé ». On retrouve ici un détail très physique des ébats sexuels du maître avec un de ses femmes. De plus le terme « enflammé » s'oppose à « l'impuissance » de l'eunuque. Et notons que les seuls lieux évoqués sont des lieux à connotation sensuelle : « le bain » des femmes auquel assiste l'eunuque, et « le lit » du maître semble le lieu central, le lieu du triomphe. Enfin, les pronoms traduisent une omniprésence féminine, les femmes sont partout, cet univers semble donc essentiellement féminin.
[...] Montesquieu esquisse encore ici une condamnation de l'esclavage qui se poursuivra au fil du roman. Il donne un caractère révoltant à la décision de consacrer un homme à la garde de ses femmes. Comment peut-on ainsi disposer de la vie d'un homme ? « mille menaces » « m'eut obligé », « eut formé le cruel projet » : on entend dans « cruel », la voix de Montesquieu. (...)
[...] Cependant, Montesquieu, donne à cette lettre, au delà de son intérêt romanesque, une portée politique et morale, qui recoupe l'esprit général de son œuvre. III) Une lettre écrite par un moraliste des lumières. Tout d'abord, l'auteur porte un regard critique sur cette société orientale pleine de barbarie et de futilité. Il nous fait sentir toute la cruauté qu'il y a à faire castrer un homme avec un pathétique sensé émouvoir le lecteur. Ce pathétique est lié à l'absence d'espoir, au caractère définitif de la castration cinquante années j'ai toujours vécu de me séparer à jamais de moi-même Cet acte apparaît donc bien comme un acte barbare qui réduit à peu de chose la vie d'un homme. [...]
[...] Et le moraliste Montesquieu en profite pour émettre des critiques politiques et morales. Le récit d'une bien triste vie. En effet l'eunuque semble se retrouver dans la position la plus cruelle qui soit. Il est le prisonnier du sérail et il n'a aucun espoir d'en sortir un jour : enfermé dans une affreuse prison toujours environné des mêmes chagrins . Il est de plus privé d'un partie de lui- même de me séparer pour jamais de moi même et se retrouve confronté aux tentations permanentes que j'étais tenté de regarder avec des yeux si tendres auxquelles il ne peut céder et qui lui rappellent sans cesse ce qu a perdu l'impuissance de le satisfaire tout m'inspirait le regret de ce que j'avais perdu L'eunuque est donc à la fois privé de la possibilité d'avoir des relations sexuelles mais il est sans cesse face à des femmes sublimes qui le tentent et le font souffrir de son impuissance. [...]
[...] En se faisant castré, l'eunuque croyait échapper aux emplois les plus pénibles mais finalement, il envie Ibbi qui n'est pas eunuque que tu es heureux ! Aucune condition ne semble meilleure que l'autre. L'esclave est soumis à tous les caprices de son maître, même dans ses moments d'égarement rien ne peut me répondre d'un maître qui n'est plus à lui- même Cela s'avère d'autant plus dangereux que le maître est facilement manipulable par ses femmes Combien de fois m'est-il arrivé de me coucher dans la faveur et de me lever dans la disgrâce ? [...]
[...] Ces liens complexes sont évoqués grâce à un jeu subtil de pronoms qui dévoile une alternance dans la domination entre l'eunuque et les femmes. De l à l l'eunuque est le sujet des phrases je les femmes sont objet, elles sont ainsi textuellement soumises au pouvoir de l'eunuque. Mais de la l à l.65, ce sont les femmes qui sont sujet des phrases elles et l'eunuque est objet me De la ligne 76 à 81, l'eunuque est même sujet de phrases passives je fus Ces rapports semblent être très ambigus car l'eunuque est à la fois esclave et serviteur des femmes, mais il est aussi leur gardien et le gardien de leur vertu, elles sont donc soumises à ses décisions. [...]
[...] Le voyeurisme seulement connoté dans la lettre de Zachi à Usbek est ici clairement établi : voyeurisme de l'eunuque, des femmes, mais aussi du lecteur. En effet l'eunuque voit les femmes nues, les mène même dans le lit du maître : j'avais toujours devant les yeux un homme heureux je n'ai jamais conduit une femme dans le lit de mon maître, je ne l'ai jamais déshabillée je mettais une femme dans le bain (l67 à 72) ( l 76 à 79). [...]
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