Le thème du changement, de la transformation, du devenir constant et irréversible des êtres et des choses est illustré dans le texte par une double métaphore filée, qui constitue la base thématique de tout le poème : l'eau. Dans l'image de l'eau de la Seine, celle que l'on reconnaît en écho dans la syllabe finale du pont Mirabeau, se confondent en fait les deux autres notions majeures de la composition, le temps et l'amour.
1. La fuite du temps.
Rien ne représente mieux la notion de la fuite du temps que le cours de l'eau (cf Héraclite), ici l'eau de la Seine.
a. La métaphore est explicitée par la quatrième strophe, « Passent les jours e passent les semaines / Ni temps passé / Ni les amours reviennent / Sous le Pont Mirabeau coule la Seine ». Elle est également soutenue par un riche champ sémantique, qui s'étend sur tout le poème, et qui fait appel aux divisions chronologiques du temps (heures, jours, semaines).
[...] b. Le thème amoureux est également mis en évidence par la brièveté du deuxième vers, qui contraste avec la langueur du vers précédent, et qui, par le rejet ainsi produit, laisse le mot « amours » en fin de vers, en rime libre et isolée. Il faut remarquer aussi la féminité associée à l'eau, non seulement par les rimes, mais aussi par les noms associés à l'idée de l'eau, principalement féminins : « onde », « Seine » et «eau ».
c. Le glissement à la double métaphore filée se confirme par la construction anaphorique de la troisième strophe : « L'amour s'en va comme cette eau courante/ L'amour s'en va/ Comme la vie est lente ». (...)
[...] Une telle attitude, essentiellement ontologique, aboutit à l'élaboration d'une nouvelle conception esthétique, puisque la pérennisation d'une souffrance amoureuse devient la source d'inspiration et de création d'une nouvelle forme de lyrisme. [...]
[...] L'ambiguïté de la récurrence En effet, alors que l'eau semble emporter tout sur son passage, le poème est construit sur une structure circulaire qui semble nous indiquer que l'homme est au centre d'un mouvement cyclique qui entraîne toujours les mêmes expériences, et qui semblent le condamner à une souffrance éternelle, celle de la fuite et de la perte L'annulation du temps : Contrairement aux apparences, le temps n'est pas ici un mouvement linéaire, mais circulaire. a. Le poème, comme le recueil d'Alcools se construit sur une structure circulaire, ou du moins elliptique. Le dernier vers du dernier quatrain reprend le premier vers du poème, ce qui semble suggérer que la plainte du poète ne fait que recommencer. De même, la dernière strophe reprend exactement les rimes de la première seul la rime masculine n'est plus la même, parce que le poète ne sera pas exactement le même après cette expérience d'échec. [...]
[...] Le poète apparaît comme le seul élément stable dans le poème. C'est l'affirmation évidente du Je demeure final du distique, ou le verbe d'état vient tenter de contrecarrer le mouvement perpétuel évoqué par les autres verbes. b. L'homme se confond alors avec le paysage qui le représente. L'image du pont, qui relie nécessairement deux rives, apparaît dans le possessif pluriel nos ainsi que dans la forme de l'impératif restons pour faire pendant au pont de nos bras construit sur des structures parallèles et répétitives mains dans les mains face à face L'irruption violente de l'autre dans le poème apparaît alors comme une dernière tentative pour saisir l'amour qui fuit et pour faire face au temps qui passe. [...]
[...] Au centre de cette structure, la souffrance du poète, représentée par les éternels regards (v.10), dont s'est finalement imprégnée l'eau elle- même, par une sorte d'animisme l'onde si lasse Le poète semble ainsi condamné à une souffrance éternelle, puisque le cercle du poème, qui est le cycle de l'eau, annonce l'arrivée certaine d'autres histoires d'amour, nécessairement malheureuses. Le temps est alors annulé, annihilé, par l'expérience poétique Le parti-pris poétique : C'est sans doute ici qu'apparaît la différence essentielle entre Apollinaire et les romantiques. a. Le langage, et donc la poésie, deviennent un moyen d'exorciser la souffrance, ou plutôt de la pérenniser pour en faire une source d'inspiration. [...]
[...] L'originalité d'Apollinaire est d'avoir associé ce thème à celui de la fuite de l'amour et de la perte de l'être aimé. a. L'identification de l'eau du fleuve et de l'amour perdu apparaît dès les premiers vers : Sous le pont Mirabeau coule la Seine/ Et nos amours notamment par l'ambiguïté sonore du verbe coule qui, même s'il est conjugué au présent, peut très bien devenir le sujet des noms Seine et amours b. Le thème amoureux est également mis en évidence par la brièveté du deuxième vers, qui contraste avec la langueur du vers précédent, et qui, par le rejet ainsi produit, laisse le mot amours en fin de vers, en rime libre et isolée. [...]
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