Lorsque l'on compare l'apologue d'Ésope et la fable mise en vers par La Fontaine, intitulée « Le cochon, la chèvre et le mouton », on prend immédiatement conscience de l'immense travail opéré par le fabuliste et le moraliste classique, sur le récit et la moralité du texte initial. Et de fait, la métamorphose réalisée est totale. La transformation ne concerne pas seulement le passage de la prose au vers, mais tout le récit, y compris la moralité. La fable fait de l'anecdote ésopique une véritable petite comédie où la cocasserie recouvre le sérieux. La réflexion centrale, la méditation sur la mort, terme inéluctable de la vie, est sans cesse atténuée ou voilée par des tableaux réalistes et drôles, des jeux de mots cocasses, des remarques dérisoires.
Une exposition rapide (vers 1-4) nous présente d'abord un tableau familier et amusant : trois animaux, un cochon, une chèvre et un mouton, perchés sur une charrette, qu'un fermier conduit à la foire, pour les vendre. Puis nous pénétrons avec « Dom pourceau » (vers 7) dans l'univers enchanté du conte, où l'homme se cache derrière l'animal et réciproquement. La plainte comique du cochon, à la perspective de tomber sous le couteau de « cent bouchers » (vers 8) contraste avec le silence de ses compagnons, et amène naturellement le dialogue central du charton et du cochon.
[...] La gaieté de la fable est encore renforcée par la versification et l'art du conteur.
L'exposition se présente sous la forme d'un quatrain à rimes croisées (a b a b) et nous rappelle (4) que le fabuliste s'inspire d'un modèle. Nous avons là un tableau cocasse du charton emmenant à la foire un drôle de trio, sur un rythme guilleret et sautillant, souligné par les coupes régulières des deux premiers vers : 3/3/5/1 au vers 1 , et
3/3/3/3 (vers 2), et l'amusante assonance à l'hémistiche, char/foire.
Nos bonnes gens ont bien la position humaine, verticale, « montés » sur cette charrette rebaptisée « char », comme dans la mythologie ! Les voilà partis gaiement pour une promenade d'agrément, à la foire (2). La foire et Tabarin entretiennent un instant l'ambiguïté de cette atmosphère de fête, mais les trois octosyllabes (5-7) à la même rime en ? in, nous ramènent à la réalité. « On s'en allait » traduit la passivité des animaux privés de liberté et destinés à la vente, et la mention du charton (5) rappelle la toute puissance qui règne sur les animaux, l'homme.
Les cris du cochon se déploient sur quatre alexandrins (8-11), et les sonorités en ? ou de la rime créent une harmonie imitative, assez comique.
[...] Dès lors, la chèvre et le mouton représentent donc les gens honnêtes, vertueux, modérés et respectueux des règles de la vie en société (15/16). Ils savent que les cris ne font qu'aggraver la souffrance et les regrets de la vie. Le cochon, a tort de trop s'attacher aux biens de ce monde (28), au corps (26/27), de trop raisonner sur la mort. Contentons-nous du plaisir de vivre, de mets simples, de l'amitié ou de l'amour, retirés dans une campagne aimable, en compagnie d'amis choisis, comme l'a dit lui-même La Fontaine. On reconnaît ici l'épicurisme discret et mesuré du fabuliste, qui a subi l'influence d'Épicure, le philosophe grec. Ce dernier nous invite à jouir avant tout de la vie éphémère, en satisfaisant ses besoins essentiels avec bonheur, sans jamais tomber dans la dépendance des instincts et des passions.
Pourquoi La Fontaine a-t-il fait du cochon le héros de la fable ? (...)
[...] Le cochon, la chèvre et le Mouton 1 Une chèvre, un mouton, avec un cochon gras, Montés sur même char, s'en allaient à la foire. Leur divertissement ne les y portait pas ; On s'en allait les vendre, à ce que dit l'histoire Le charton n'avait pas dessein De les mener voir Tabarin. Dom pourceau criait en chemin Comme s'il avait eu cent bouchers à ses trousses : C'était une clameur à rendre les gens sourds Les autres animaux, créatures plus douces, Bonnes gens, s'étonnaient qu'il criât au secours : Ils ne voyaient nul mal à craindre. [...]
[...] Ils savent que les cris ne font qu'aggraver la souffrance et les regrets de la vie. Le cochon, a tort de trop s'attacher aux biens de ce monde au corps de trop raisonner sur la mort. Contentons-nous du plaisir de vivre, de mets simples, de l'amitié ou de l'amour, retirés dans une campagne aimable, en compagnie d'amis choisis, comme l'a dit lui-même La Fontaine. On reconnaît ici l'épicurisme discret et mesuré du fabuliste, qui a subi l'influence d'Épicure, le philosophe grec. [...]
[...] Quand le mal est certain, La plainte ni la peur ne changent le destin ; Et le moins prévoyant est toujours le plus sage. La Fontaine Fables VIII 12 NOTES : vers 1 charton : vieux mot désignant un cocher , celui qui conduit une charrette, en l'occurrence un paysan, un fermier Vers 6 Tabarin : personnage comique appartenant au spectacle du charlatan Mondor qui opérait sur le Pont-Neuf. Vers 7 Dom : à rapprocher de don dans les titres nobiliaires espagnols. [...]
[...] Pourquoi La Fontaine a-t-il fait du cochon le héros de la fable ? La symbolique du cochon est ambivalente et comporte bien des aspects, surtout négatifs. Le cochon est d'abord l'allégorie de l'homme esclave de son corps et de ses sens. Il est incapable de maitriser ses instincts, ne considère que le corps les biens matériels et les plaisirs. On appelait d'ailleurs les libertins du siècle, les athées de l'époque, les pourceaux d'Épicure Ces matérialistes s'appuyaient uniquement sur les sens et la raison et refusaient l'existence de Dieu. [...]
[...] La Fontaine, toujours badinant, réserve à chaque interlocuteur la moitié d'un hémistiche : Il est sage.__Il est un sot Qui a raison, le cochon ou le mouton ? La complainte du pourceau, en octosyllabes au rythme régulier, donne l'impression d'un chant triste et monotone avec le retour des rimes en Les alexandrins reviennent bien entendu avec la moralité, et la sentence tombe alors de façon surprenante : le plus sage n'est pas celui qu'on pense. A toute cette gaieté et diversité dans le récit, s'ajoute enfin un remarquable concert de voix. Nous entendons d'abord celles du conteur et du moraliste. [...]
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