Dès les premières pages de L'Homme qui Rit, le personnage d'Ursus a été caractérisé par son bagou philosophique, son ironie et sa capacité à imiter toutes les voix (il est engastrimythe). Cet extrait qui constitue la suite d'un long monologue adressé aux deux enfants affamés illustre ses talents. La mise en relation du titre du chapitre et de la situation : nourrir les deux orphelins signale la dimension antiphrastique de ce discours. Il fait le contraire de ce qu'il dit. Ce passage qui comporte des réminiscences des Pensées de Pascal sur la disproportion de l'homme est à lire au second degré. Sur le mode tout à tour de scientifique bancal, du pseudo orateur cicéronien ou du philosophe désabusé à l'humour noir féroce, Ursus y dit la misère de l'Homme.
[...] Ce texte s'ouvre sur une métaphore qui constitue un rapprochement comique entre deux réalités incommensurables : "le soleil" et "un poêle". La réflexion sur les vapeurs caligineuses et sur l'héliocentrisme Kepler débouche justement sur un syllogisme fumeux dont la prémisse "le soleil est une cheminée" annonce la chute comique : " Mon poêle ne vaut pas mieux que le soleil." Sur un mode emphatique, porté notamment par le temps et le choix des verbes (utilisation du subjonctif imparfait + verbe "avilir") donne un niveau de langue haut voire précieux mais qui est décalé par rapport au texte évoqué. [...]
[...] Elle provient encore des ruptures de ton et de rythme ainsi que des changements de voix. Elle inscrit enfin Ursus dans la lignée de ces personnages de fous récurrents dans l'œuvre hugolienne. Il rappelle la petitesse de l'homme pris entre l'infini du bien et celui du mal. La folie dont Pascal dit : " Les hommes sont si nécessairement fous que ce serait être fous par un autre tour de folie de n'être pas fou." Cette folie est un masque pour dire la misère de l'Homme. [...]
[...] Incontinent, il sortira du font de son âme la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir." La fugacité de l'existence et sa complexité douloureuse font l'objet de la suite du discours d'Ursus. Cette phrase banale et familière forme ainsi une transition. Après s'être exprimé sur un mode personnel affiché par la répétition du Ursus prétend décrire le point de vue de l'humanité et ce faisant la voix du c'est à dire celle d'une sagesse populaire, neutre et impersonnelle. [...]
[...] Depuis Aristote, le dialogue comme confrontation de point de vue constitue un mode d'argumentation. L'auto réfutation Hé bien non") avancée est lisible comme une parodie minimale des dialogues platoniciens tout entiers construits autour d'un jeu d'oppositions et de contradictions. A la suite de cette pause familière, le discours d'Ursus reprend son ampleur d'auparavant pour exposer non plus une doctrine politique creuse mais une approche épicurienne de l'existence à l'humour noir féroce. Les deux segments rhétoriques (extravagance du peuple et tentation du suicide) se répondent en s'opposant. [...]
[...] Ce mélange vide le discours de toute substance et marque la dérision d'Ursus. Cette dérision est renforcée par le décalage entre ce ton d'orateur cicéronien et la situation d'Ursus : celle d'un Diogène vivant non pas comme ce dernier dans un tonneau mais dans une roulotte, ne cherchant pas non plus comme lui un homme, l'ayant trouvé sous la forme d'un loup. La phrase suivante se caractérise d'abord par son changement de ton et de rythme. A la longue période rhétorique creuse et emphatique succède une interjection familière Le contraste de ton constitue un ressort comique banal mais il est doublé ici par un effet plus subtil. [...]
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