Le Cahier d'un retour au pays natal, parut en 1939 en France dans la revue Volonté, passe inaperçu. Nous sommes à la veille de la Seconde Guerre Mondiale, le milieu littéraire milite contre l'envahisseur nazi et ne se soucie pas du poème d'un créole de Fort-de-France. En 1947, le Cahier d'un retour au pays natal atteint une grande notoriété notamment grâce à son édition bilingue anglaise. Cette première œuvre de Césaire est un cri et l'émergence d'une conscience noire antillaise. La plume est à la fois poétique et enragée, ce qui constitue ici la richesse et la beauté du poème. Comment Césaire élabore t-il un nouvel espace poétique, véritable support d'une pensée militante ? Comment renouvelle-t-il l'instrument verbal à des fins polémiques sans pour autant le dépoétiser ? C'est à travers une esthétique moderne héritée des mouvements littéraires Français de l'époque que collaborent pouvoir militant et création poétique où l'écriture devient un hymne universel et Césaire un poète porte-parole de l'Homme libre. Le passage se situe au début du recueil p. 20-21.
[...] Le passage que j'ai intitulé celui de la soupière témoigne de l'impossibilité implacable d'occulter des siècles de souffrance : mais est-ce qu'on tue ( ) de Hottentot Cette strophe, isolée typographiquement du reste du texte est très riche. C'est l'image terrible d'une dame anglaise trouvant le crâne d'un noir dans sa soupière. On notera tout de suite l'allusion à Hamlet de Shakespeare, qui tient dans sa main le crâne de son père assassiné. Cette dame anglaise, tout comme Hamlet interroge dans la stupeur un crâne pour savoir la vérité. [...]
[...] Ce cri qui jailli dans l'écriture de Césaire achemine le langage vers une tension en avant. En effet, le langage devient moteur, l'espace poétique devient tension. On remarque tout d'abord une alternance de rythmes ternaires et quaternaires je dirai orage ( ) je dirai feuille soutenu par l'usage de rimes intérieures (homéotéleutes) combinés plus loin avec la phrase non ponctuée : je roulerais ( ) les mineurs Cette composition époumone le vers, le tempo, accentue la cadence de l'instrument verbal. [...]
[...] Tout ceci orchestre un cri humain porté par une écriture qui condamne l'oubli et défend la liberté. Césaire se fait alors porte-parole des peuples humiliés et ce long poème s'élève à l'hymne universel, sa parole poétique glisse de l'instant historique à l'universalité. [...]
[...] Il est tout d'abord le porte-parole et le guide des siens : Je viendrais à ce pays qui est mien je parlerai Césaire revendique un engagement défenseur du peuple noir antillais mais également un défenseur de tous les peuples sous le joug de l'oppression, colonial ou pas. Il englobe le monde et toutes les identités dans son tissu poétique : un homme-juif homme- cafre pogrom Le poète englobe le monde dans sa plume et prend parti de donner au jour la vérité de l'Histoire. L'écriture en demeure d'ailleurs le reflet. [...]
[...] Cette voix commence tout d'abord par l'émergence d'une conscience qui se ressent dans ce passage. On note dans le premier paragraphe le vent de jadis qui s'élève Par cette métaphore de la mémoire, Césaire arbore ici une écriture des profondeurs qui sollicite une descente aux enfers à l'issue incertaine. Nous sommes bien dans un itinéraire passionné du moi profond où semble surgir un passé collectif traumatisant. Plus loin dans le Cahier on peut lire (p.35) : Que de sang dans ma mémoire ( ) de têtes de morts Césaire revient dans son pays après avoir vécu en Europe, la question qui se pose est celle de l'identité, c'est une méditation sur ses origines et son peuple : Partir j'arriverais lisse et jeune désertée de vos plaies Ces vers magnifiques peignent un poète revenu de l'exil qui proclame son appartenance à une terre et un peuple souillé par l'Histoire. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture