Dans le récit Histoire de Kitty Bell, inséré dans le roman Stello (1832), Alfred de Vigny avait déjà rapporté l'histoire tragique du poète anglais Thomas Chatterton. Bien que l'expression ne soit consacrée que plus tard, il a pu être considéré comme un « poète maudit », que Vigny met en parallèle avec Nicolas Gilbert et André Chénier.
[...] Ce retournement est accentué par le passage d'un monologue à un dialogue vif. Le dialogue entre Kitty Bell et Chatterton se caractérise en effet par sa vivacité : les répliques courtes s'opposent à la longueur du monologue de la scène précédente. De plus, la vivacité des répliques se voit par le jeu de reprises d'une réplique à l'autre : ainsi, quand Kitty Bell parle des « larmes » dans les yeux de Chatterton, celui-ci parle des « beaux yeux » de Kitty. [...]
[...] Ces poètes, connus après leurs morts, sont une grande source d'inspiration pour la génération romantique. La pièce de théâtre Chatterton, écrite en 1835, reprend d'une autre manière Histoire de Kitty Bell, le passage au théâtre permettant d'accentuer le caractère tragique. Chatterton n'est cependant pas exactement une tragédie, puisqu'elle n'est composée que de trois actes et est écrite en prose. Elle s'insère dans le genre du drame romantique, inauguré et théorisé par Victor Hugo dans la préface de Cromwell, et entré de manière fracassante sur la scène littéraire française avec la « bataille d'Hernani » (1830). [...]
[...] La mort sur scène permet d'accentuer la violence et l'émotion des spectateurs. La présence de la mort est montrée de manière emphatique avec l'apostrophe « O Mort », mais aussi par les adresses à la fiole de poison, qui rappellent le langage soutenu et les figures recherchées des auteurs classiques. La naissance d'un tragique moderne dans un drame romantique Comme Alfred de Musset, Alfred de Vigny choisit d'écrire Chatterton en prose, rompant avec l'habitude de l'alexandrin classique. Chatterton n'est pas acculé à la mort par le destin, mais par les conditions modernes d'existence. [...]
[...] Le déchirement du poète est le plus mis en valeur, et passe tout d'abord par un monologue. Ce procédé théâtral permet traditionnellement de montrer les sentiments intérieurs d'un personnage. La proximité avec le personnage est permise par les abondantes marques de la première personne, mais aussi par l'apostrophe « mes bons amis » de la première ligne, qui intègre dans le discours du personnage, et permet de créer une empathie avec lui. Les phrases courtes permettent également de mimer l'oralité, de faire comme si le personnage s'adressait réellement aux spectateurs sur le mode d'une conversation. [...]
[...] Conclusion Ces deux scènes contiennent ainsi le dénouement de Chatterton. Le suicide du poète donne lieu à un monologue et un dialogue très pathétiques, mettant en scène la souffrance d'un « poète maudit » rejeté par la société, et dont l'amour ne peut s'exprimer pleinement qu'au moment de la mort. Vigny reprend ainsi le genre tragique dans des conditions nouvelles, faisant de la figure du poète le personnage tragique par excellence. Chatterton est ainsi une figure qui irrigue la pensée romantique. [...]
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