Mémoires d'outre-tombe, hantés par la mort, habités par le problème du temps disparu; le narrateur se débat contre le temps, "cherche à lui faire rendre compte de ce qu'il a vu". Des Mémoires, qui se construisent à partir "des ossements et des ruines", c'est-à-dire de fragments de souvenir, dans un monde que Venise semble bien symboliser, puisqu'elle s'écroule, tombe en ruine, elle aussi. Le texte sur le cimetière de Saint-Christophe doit évidemment être lu comme symptomatique de toute l'écriture des Mémoires. Il décrit le cimetière, en interrompant régulièrement le tableau qu'il peint par des réflexions générales, personnelles, par des anecdotes, qui donnent aux couleurs du tableau leur pleine profondeur. Le texte s'achève sur l'idée de cet enfant Roi trop pesant, après avoir construit une atmosphère de distante amertume parfois empreinte d'ironie, où le lieu décrit semble participer de l'état d'âme du narrateur. A quels enjeux répond cette métaphorisation du lieu?
[...] Ce lieu décrit, cette page autobiographique, qui ne raconte pas le passé, mais la vision qu'en a le narrateur dans le présent, pourrait être l'emblème des Mémoires d'Outre-Tombe. Un ramassis de vieux os que le présent cherche à réinterpréter, dans lequel il fouille, cherchant furieusement à donner au passé un sens présent. Les Mémoires sont ce cimetière hétéroclite, cloisonné mais en désordre, où tout s'entremêle, la vie, la mort, l'âme, le mythe, l'histoire, le temps perdu, les angoisses, les craintes et les doutes. [...]
[...] Il s'agit de la description d'un souvenir, qui pour le narrateur est encore vivant dans son esprit, et qu'il veut faire ressentir comme tel. Il s'agit de montrer comment ce souvenir est ressenti dans le présent. C'est une vision, un tableau, une image qui s'offre au regard, de la même façon que ce tableau de Saint-Christophe, dans la chapelle. Mais il s'agit bien d'une re-visitation, car le passé ponctue le texte. D'abord, dans le premier paragraphe "je n'étais pas loin", puis l'anecdote sur le médecin et Antonio ("Antonio avait fourré" . [...]
[...] Finalement, c'est un climat d'amertume qui est établi dans cette description. Un "lugubre bazar": voici le maître mot, quant à la caractérisation du lieu qui est décrit. Lugubre, car la vie, le "couvent", la prière, ont été abattus, il n'en reste qu'un "enclos", qui sert de cimetière. Les tombes y sont de piètre apparence, "éparpillées", "de petites croix noires avec une date blanche" sont les seuls signes qui permettent de distinguer les emplacements funèbres du reste du sol, "couvert de gazon". [...]
[...] Le narrateur utilise le passé (imparfait, plus que parfait ou passé composé : "je n'étais pas loin", "Antonio avait fourré", "j'ai voulu porter") lorsqu'il décrit les événements qui s'inscrivent dans le temps de la narration. Mais dès qu'il s'agit de description, on passe au présent ("gisent", "reste", "s'élève"), comme si le passé faisait un bond immense pour venir s'étaler sous nos yeux, ou comme si ce qui avait été valable dans le passé le demeurait aujourd'hui. Toute la description se déroule au présent, comme si le narrateur voulait nous rendre vivante la mort. [...]
[...] La vision, dans ce texte, est source de méditation et de réflexion. Décrite au présent, elle s'inscrit dans le présent de la pensée du narrateur. Le second paragraphe commence par "on voit" : volonté claire de faire surgir des images, libérées du filtre du temps, qui estompe tout. Le premier paragraphe s'achève sur un constat qui engendre une réflexion : le tour présentatif ("voilà comme") insiste sur une réalité dont il faut prendre conscience. Le relatif complément du nom "Vénitiens" construit un contraste subreptice entre la façon de traiter les morts des différentes générations. [...]
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