Après la Seconde Guerre Mondiale, Camus fait représenter Caligula, pièce qui vient compléter le cycle de l'absurde, où la figure du fameux empereur romain incarne l'homme aux prises avec une découverte effroyable : « les hommes vivent et ils ne sont pas heureux ». Camus fait mener à ce personnage une expérience radicale, où le bonheur ne peut être atteint que dans une liberté absolue qui suppose une solitude extrême. C'est par la tyrannie, le crime, l'humiliation, que Caligula pense y parvenir.
Dans le palais de l'empereur, trois ans après la douleur profonde causée par la mort de Drusilla (acte I), on apprend que la terreur gagne Rome, du fait de la cruauté de Caligula (acte II, II, et IV). Dans la scène 12 de l'acte IV, très peu de temps avant le dénouement tragique, l'empereur organise un concours de poésie sur le thème de la mort. Il interrompt à coups de sifflet les récitations et congédie les poètes qu'il juge mauvais, à l'exception de Scipion. Cette scène est l'occasion d'une humiliation quasi générale, et les poètes doivent sortir en léchant leurs tablettes.
[...] éléments tragiques :
> le sujet et le champ lexical des récitations : par une sorte de mise en abyme il y a au sein de la scène un tragique, mais parodié, caricaturé par le défilé du concours. A partir du « Sujet : la mort. » donné par Caligula, la mort apparaît deux fois explicitement, dans deux apostrophes (l.33 et 37), puis à travers la métaphore ou métonymie des « rives noires » renvoyant aux Enfers de la mythologie ; les « Trois Parques » qui suivent sont puisées à la même source. L' « oraison » et l'adjectif « Inexorable » (l.44 et 46) appartiennent aussi au monde tragique, mais aux références trop évidentes, apprises (mythologie), figées. (...)
[...] Dans cette scène de tels artistes ne valent pas mieux que les tyrans qu'ils servent. L'esprit de la Résistance est ici bien présent. [...]
[...] Les didascalies reprennent d'ailleurs mot pour mot ceux de Caligula quand il s'agit du défilé de sortie : le gérondif en léchant de la l.60 est par exemple repris l.62. Tout se passe comme si Camus donnait en partie raison à l'empereur d'humilier des poètes qui s'humilient déjà devant son pouvoir : cf. le vieux patricien, et la seule objection, qui ne va pas loin, du cinquième poète, l.42, Mais, Caius, je n'ai pas fini En somme la poésie proposée par ces poètes est à leur image, convenue et rentrée dans le rang, sans nouveauté ni révolte. [...]
[...] - La mécanique des coups de sifflet : les prises de parole des poètes sont de plus en plus courtes : l.33 : 7 mots ; l.35 : 6 mots ; l.37 : 5 mots ; l.38 : aucun mot, puisque le poète n'a pas le temps de parler, l.39 : 5 mots ; l.44 et 46 : de longueur égale et 4 mots). - Le défilé de départ : aux lignes 60-61 (et Caligula organise la sortie des faux poètes : Attention ! [...]
[...] Quand Scipion, alerté par le message de Cherea Le moment est venu hésite sur le pas de la porte et va vers Caligula celui-ci le rabroue durement, avec méchanceté comme le dit la didascalie, et faisant avec cruauté allusion au sort de son père, et c'est sur cette question, sèchement envoyée en deux temps (la question + la comparaison, de longueur égale) que s'arrête la scène, laissant donc l'image d'un empereur ayant chassé de lui tout sentiment compatissant. III. UNE MISE EN SCENE REQUISITOIRE, POUR UNE AUTRE CONCEPTION DE L'ART critique de la poésie officielle et traditionnelle - Cette scène juge durement les poètes, en même temps que Caligula les juge, et ne fait pas éprouver de réelle sympathie envers eux. Ils sont notamment victimes du comique voulu par Camus. Ce sont des poètes pantins, de faux poète[s] comme le dit l'empereur, l.57. [...]
[...] Les poètes, marchant au pas, sortent, par la droite Le jeu de scène accentue l'aspect impitoyable de cet extrait. - Mais l'empereur lui-même, organisateur de la scène, est sans pitié et passe rapidement sur les sentiments des autres personnages : A la douceur de Caesonia (cf. didascalie), Caligula répond avec humeur, multiplie les exclamations, répète trois fois le mot humilité puis il passe à autre chose alors que Caesonia a été visiblement meurtrie (la didascalie remonte lentement l'a souligné) : A Cherea. Je continue. l.20-21. [...]
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