Bien qu'il vécût avant la naissance du Surréalisme, on rapproche souvent Apollinaire de ce courant d'esprit. En effet, l'ensemble de son œuvre, de par sa modernité, présente une parenté certaine avec le mouvement créé dans les années 1920 par André Breton. Ainsi, son recueil de poèmes publié en 1913, qui avait tout d'abord été intitulé Eau de vie puis a finalement été rebaptisé Alcools, nous livre des textes divers dans lesquels la ponctuation est absente et qui sont caractérisés par une évidente fluidité d'écriture. Ce recueil charnier, qui montre l'adhésion d'Apollinaire aux temps nouveaux, est néanmoins marqué par une mélancolie latente, un retour nostalgique et élégiaque du poète vis-à-vis du passé.
Le poème que nous allons étudier se nomme Les Colchiques ; il inaugure une suite de textes –jusqu'à L'adieu- qui ont pour thématiques principales l'amour déçu et l'errance. Il s'agit d'un poème inspiré par Annie Playden, avec qui Apollinaire a eu une liaison sans suite. Dans ce texte, Apollinaire, selon une formule héritée de la Renaissance et qui s'inscrit dans la tradition de l'Ode à Cassandre de Ronsard, compare la jeune femme à une fleur : le colchique. Or, cette plante est, comme nous l'indique une note en bas de page, « très vénéneuse ». Aussi, pourquoi et dans quel but Apollinaire établit-il une analogie entre la femme qu'il a aimée et cette fleur, dont le choix peut sembler étrange et inapproprié ? Nous allons voir que cette métaphore amoureuse permet au poète de réinventer un mythe en lui donnant un caractère tragique.
[...] Ensuite, comme nous l'avons déjà vu, contrairement à un sonnet classique, Les colchiques comportent quinze vers, qui sont organisés de la sorte : nous avons tout d'abord un septain, puis un quintile, et enfin un tercet. Les strophes sont donc composées d'un nombre impair de vers, ce qui donne au poème un aspect bancal. Elles sont également de plus en plus courtes, comme si le poème avait été étiré le plus possible. Cette impression est renforcée par la présence du quinzième vers, qui vient allonger le texte et qui lui donne une certaine lourdeur, une pesanteur qui traduit la mélancolie du poète ainsi que sa souffrance. [...]
[...] Conclusion Pour conclure, nous pouvons dire que Les colchiques permet à Apollinaire d'affirmer son pouvoir créateur : certes, dans ce texte, il exprime une tristesse profonde, mais celle-ci est parfaitement maîtrisée. Au lieu de se complaire dans cet état d'esprit, le poète fait de sa mélancolie un matériau qui lui permet de réinventer le mythe de la femme- fleur. Sa réécriture originale recycle cette comparaison traditionnelle, et la teinte de gravité, puisqu'elle s'accompagne ici d'une évocation subtile de la mort, qui rôde et s'insinue peu à peu au sein du texte. [...]
[...] joli v.1, automne v.1et empoisonn(er) v.3 et colchique v.4, répétition de comme trois fois en deux vers, v.5 et que l'on retrouve tout au long de la première strophe souligne l'impression d'harmonie et de rondeur qui se dégage lors de la lecture du début du poème. On observe que la voyelle a (cf. vaches v.2, lilas v.4, cette fleur-là v.5, violâtres v.6) est également très présente. Ces deux assonances contribuent à donner au poème un rythme qui berce le lecteur. II / Le mythe de la femme-fleur : réinvention Cependant, le lecteur ne doit pas se fier aux apparences, car celles-ci se révèlent être trompeuses. Une étude approfondie des Colchiques nous montre en effet qu'Apollinaire réinvente le mythe de la femme fleur. [...]
[...] Ensuite, on observe que le poète s'attarde plus précisément sur le regard de celle qu'il a aimée (cf. yeux v.5 et cerne v.4 et paupières v.11). Ce mode de description poétique qui consiste à ne détailler qu'une partie précise du corps de la femme s'appelle le blason. Il met ici en évidence la fascination que le poète éprouve pour les yeux de sa dulcinée. Aussi, bien qu'Apollinaire n'exprime pas de manière explicite son attachement envers la femme qui lui a inspiré ce texte, aucun doute n'est possible : il s'agit bel et bien d'un poème d'amour. [...]
[...] Ici, la fleur est plutôt présentée comme un poison (cf. s'empoisonn(er) v.3 et ainsi que la note de bas de page concernant la définition du colchique) qui, de plus, est contagieux : bien que seul le colchique soit vénéneux cette caractéristique qui lui est propre se propage au pré puis contamine les vaches (v.2) avant de s'attaquer à l'être humain (cf. v.7 Et ma vie pour tes yeux lentement s'empoisonne et aux enfants qui ne peuvent résister à leur envie de cueill(ir) les colchiques (v.10), devenant ainsi le symbole de l'innocence piégée, et brisant une atmosphère jusque-là relativement paisible. [...]
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