Après l'achèvement du coup de foudre à retardement de Solal et Ariane et l'intensité amoureuse du début de la passion, les héros se sont enfermés dans leur climat passionnel pour se couper du monde qui les entoure et de la vie sociale. Mais peu à peu, le couple est tombé dans la lassitude du huis-clos, et souffre d' "avitaminose". Cette période va s'achever au chapitre XCVII, alors qu'on se rapproche de la fin du roman. Ce dialogue, amorcé par la révélation d'Ariane, avouant à Solal qu'elle a eu un amant avant lui, marque une nette rupture dans le roman et par là occupe une place centrale par son importance. C'est en effet à sa suite que le couple va s'engager dans une dégradation faite de disputes violentes, d'humiliations et de ruptures avortées. En contraste avec les longs ressassements et monologues précédant qui rendaient compte de la monotonie dans lesquelles s'était enlisé le couple, la dispute qui résulte de cette "honnêteté" d'Ariane se manifeste comme une action, un événement : la tension dramatique s'accélère dans un dialogue au rythme soutenu. Et ce dialogue représente bien un événement décisif dans l'intrigue de Belle du Seigneur, puisqu'à partir de lui, le rythme garde une cadence précipitée, brusque, les amants fuyants d'hôtel en hôtel, jusqu'au relâchement final de leur suicide au dernier chapitre.
De quelle manière ce dialogue révèle les paradoxes d'une passion vouée à l'échec ?
Ce dialogue théâtralisé met d'abord en scène une jalousie fantasmatique révélatrice de la crise du couple, qui joue alors le jeu dérisoire d'une passion démesurée. Cela dérive ensuite rapidement vers un dialogue de sourds accaparé par Solal et dévoilant les obsessions violentes et paradoxales du personnage et de sa passion. L'échec du dialogue révèle enfin la fatalité tragique de l'échec de cet amour passionnel (...)
[...] Le dialogue prend la forme d'un interrogatoire (on retrouve même la formule de circonstance : quand l'as-tu vu pour la dernière fois ? durant lequel l'enquêteur cherche à donner de la matière à sa jalousie et se base sur les bribes d'informations reçues pour reconstituer fantasmatiquement et faire revivre la liaison. Les détails ne sont pas laissés de côté : cela a duré jusqu'à quand ? tu l'as revu ensuite ? Venait-il chez ton mari ? Pourquoi n'as-tu plus voulu aller chez lui ? Son nom, vite ! Quelle nationalité ? [...]
[...] Ayant peur d'une éventuelle lassitude d'Ariane, il la persécute, tout comme il assimile le discours raciste en plaçant Dietsch au poste de rival fantasmé. Solal se mure dans sa solitude : Ariane est reléguée au camp des autres tout comme elle l'avait été après avoir rejeté le vieillard. Il la replace dans la catégorisation générale : toutes pleines d'inconscient puis elle devient l'Autre vraiment une autre race On pressent la fatalité du clivage dans le couple même chez Ariane, avec la mise à distance par le passage du tutoiement au vouvoiement : Je ne comprends pas ce que vous voulez dire * * * La dénonciation des artifices de séduction tels qu'ils sont énoncés au chapitre XXXV se révèle être, à la lumière du chapitre XCVII, une sorte de pacte amoureux. [...]
[...] Ainsi, il semble enfermé dans un cercle vicieux annoncé au moment de la séduction. Obligé d'être cruel à cause des femmes, Solal les punit et se punit lui-même de cette cruauté dont il souffre : Mais c'est faire un pacte avec le diable, car il perd son âme, celui qui veut être religieusement aimé. Elles m'ont obligé à feindre la méchanceté, je ne leur pardonnerai jamais ! La passion d'Ariane et de Solal est en effet déterminée par le mépris d'avance de Solal, et en ce sens c'est une passion tragique. [...]
[...] Cela dit, on peut remarquer, suite à ces remarques et les précédentes, que le mépris de Solal est tourné vers ce qui relève du fantasme tandis qu'il esquisse une faiblesse face à l'Ariane qui se trouve devant ses yeux, et notamment lorsqu'elle dévoile son imperfection en se mouchant et en laissant paraître son nez rouge et enflé La colère incontrôlée de Solal face à la pudeur d'Ariane s'expliquerait donc peut- être moins par l'hypocrisie prétendue de cette pudeur que par le fait qu'il ne peut pas, si elle garde son image de perfection, la démystifier, en tout cas pas de manière rationnelle. Tout comme il repousse ses élans de tendresse, Solal semble au final inciter cette démystification. Ce dialogue accaparé par Solal révèle les contradictions du personnage par le décalage entre l'amour religieux qu'il réclame à l'autre et sa propre réalisation de cet amour. Cette inégalité fondamentale qui révèle la déchéance de cette passion, impossible absolu. [...]
[...] L'échec du dialogue révèle enfin la fatalité tragique de l'échec de cet amour passionnel. * * * Le dialogue entre les deux amants a pour objet la révélation par Ariane d'une relation antérieure à Solal. Le dévoilement de ce secret fait rapidement éclater la jalousie violente de Solal, jalousie qui semble fantasmatique par son excès et par sa démonstration. Cette jalousie se montre en effet fabulée. Solal semble la nourrir lui- même en réactualisant par l'imagination la relation lointaine et insignifiante d'Ariane avec celui qu'il exhibe comme son rival. [...]
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