[...]
- Ce passage au discours direct développe la dernière des onze recettes du séducteur, celle de la "déclaration" amoureuse (l.1), exposée par Solal à un cousin hypothétique auquel il feint de s'adresser : "tu voudras" (l.1), "veille à ta voix" (l.1-2), "tu la verras" (l.3), "tu lui diras" (l.5).
- Ce discours s'apparente à une véritable recette comme en témoignent :
. l'emploi d'infinitifs : "lui faire sentir" (l.2), "Choisir pays chaud, luxuriances,..." (l.12).
. l'emploi d'impératifs : "veille" (l.1), "dis-lui aussi" (l.7), "vas-y" (l.9),...
. à ces marques, habituelles dans le texte injonctif qu'est une recette de cuisine, s'ajoute le champ lexical de la cuisine, employé explicitement à la fin du premier paragraphe : "tu verras alors frémir la pauvrette" (l.11), "elle est cuite et tu peux la manger à la sauce tristesse" (l.13-14). Le locuteur présente ainsi la femme aimée comme un aliment qu'il convient de cuisiner pour le manger.
. enfin l'auteur emploie l'ellipse du verbe ("Du parfum fort et bon marché", l.8) et l'ellipse du déterminant devant "infinie discrétion" (l.5), "odeur", "douceur" et "chant" (l.7-8), "voix violoncellante" (l.9), "pays chaud", "luxuriances", "soleil", "association", "rapports physiques", "vie de luxe" (l.12). Ces ellipses achèvent de transformer le discours en consigne, en recette efficace.
- Qui plus est, Albert Cohen prête même à son protagoniste des paroles de séparation : "C'est fini. (...) Adieu, madame." (l.14-15).
=> Le romancier montre donc une tentative de séduction doublement surprenante et originale : non seulement Solal tente de séduire Ariane en lui dévoilant les trucs du séducteur, mais aussi en feignant de partir et donc d'avoir échoué. L'étonnement est aussi créé par le passage de ce discours théorique sur la manière de séduire à une tirade passionnée d'un lyrisme ardent (...)
[...] ( Le romancier montre donc une tentative de séduction doublement surprenante et originale : non seulement Solal tente de séduire Ariane en lui dévoilant les trucs du séducteur, mais aussi en feignant de partir et donc d'avoir échoué. L'étonnement est aussi créé par le passage de ce discours théorique sur la manière de séduire à une tirade passionnée d'un lyrisme ardent. B. Un changement de ton surprenant : de la théorie cynique au discours lyrique La fin du premier paragraphe marque une rupture dans le texte et dans la situation d'énonciation, avec le passage de la fiction des propos adressés au cousin de Solal à la réalité du dialogue avec Ariane, symbolisé o par le passage du tutoiement au vouvoiement : Voici la nomination de votre mari. [...]
[...] Le Livre de ma Mère, qui est le pendant de la vision négative de la passion peinte dans Belle du Seigneur, taxé d'« anti- roman d'amour selon l'expression d'Albert Cohen (cf. le documentaire de William Karel dans la collection Un siècle d'écrivains), par opposition au chant d'amour qu'est Le Livre de ma Mère. Pour autant, Cohen montre un Solal qui reprend ce discours lyrique de la passion, qu'il a pourtant tourné en dérision. La déconstruction du discours du séducteur opérée par Solal dans le premier paragraphe ne prive pas entièrement le discours du vieillard d'une certaine beauté lyrique irréductible, celle notamment d'un hymne à l'élan vital et à la jeunesse revenue (l.21), octroyée par cet amour fou, cette passion, et celle de l'émotion causée par les retrouvailles avec la belle : émouvante sur le seuil (l.20). [...]
[...] De même, la sévérité du regard que porte l'auteur sur les hommes et les femmes ne l'empêche pas d'exprimer une immense tendresse pour ses semblables. Cf. [...]
[...] La reprise du discours lyrique du vieillard après la leçon cynique de séduction n'est pas non plus dénuée d'ambiguïté : o On peut en effet l'entendre comme la volonté d'avoir une revanche avec les mots mêmes qui n'ont valu que mépris au vieillard du chapitre 3. o On peut aussi le comprendre comme une preuve de la sincérité prêtée par le romancier au personnage masculin et une preuve suprême d'amour : Solal dévoile les mensonges de la passion pour être aimé plus sincèrement et plus intelligemment, loin des artifices du langage de la passion et au-delà de la pure séduction physique. [...]
[...] o il connaît les effets produits sur le spectateur : tu la verras alors faire le soupir du genre martyre tu la verras plus émue tu verras alors frémir (l.11), elle ferme les yeux et ouvre la bouche (l.13). Il sait décrypter la comédie jouée par autrui : tu la verras alors faire le soupir du genre martyre. C'est un soupir spécial, par les narines, et qui signifie ah si vous saviez tout ce que j'ai enduré avec cet homme, mais je n'en dis rien car je suis distinguée et d'infinie discrétion. [...]
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