Codex de Chypre, Manuscrit J.II.9 - Anonyme (1410-143) - En quoi le manuscrit de Chypre annonce-t-il la verve linguistique des Grands Rhétoriqueurs dans un mouvement d'amuïssement général du sens ?

Thèmes abordés

Codex de Chypre, Manuscrit de Turin, Grands Rhétoriqueurs, poésie, écriture musicale, Jean Molinet, Guillaume Crétin, Pierre Gringore, Jean Bouchet, Jean Marot, Jean Lemaire de Belges, réthorique courtoise, morale humaine, rondeau, ballade, motet, rime couronnée, stylistique, amuïssement, jeu de mots

Résumé du document

Le Codex de Chypre, qui présente le manuscrit de Turin (J.II.9), est un cahier formé de pages manuscrites reliées ensemble en forme de livre qui présente des caractéristiques hors norme. En effet, il est le premier du XVe à se distinguer de la simple compilation pour faire apparaître des qualités de répertoire, tant musical que thématique, ainsi que toutes les qualités d'une véritable oeuvre littéraire et poétique, cohérente dans son fonctionnement.

Extraits

[...] Prenons l'exemple de Jean Lemaire de Belges. Après avoir servi Marguerite d'Autriche à la cour de Bourgogne, il se rapproche de la cour de France quand elle meurt. Ses Illustrations de Gaule et singularités de Troie jouent un grand rôle dans l'apparition d'un nationalisme littéraire, dont Du Bellay lui-même, puis Ronsard, seront les héritiers. Parues entre 1511 et 1513, elles font des Français les descendants de Francus, lui-même fils du troyen Hector : une généalogie légendaire, mais tout à fait louangeuse. [...]

[...] Les rimes enchaînées, couronnées, annexées, et fratrisées font signe vers le signifiant quitte à oublier le signifié . Le sens général importerait donc moins que le jeu stylistique. Qu'importent les discours pourvus qu'ils soient matière à rimer et non pas à aimer, si l'on ose la rime. Qu'importe le didactisme s'il se confond dans le signifiant qui triomphe. D'ailleurs, comment établir la signification du rondeau de manière assurée ? N'est-il pas seulement un pré/texte au texte ? Ainsi, pour mieux cerner les enjeux stylistiques des pièces que nous sommes amenés à commenter, il convient de donner des clefs de lecture de la poésie des Rhétoriqueurs. [...]

[...] La force des Rhétoriqueurs tient en effet dans leur capacité à manier la langue française avec finesse et subtilité et c'est précisément dans cette veine qu'il convient de placer le Codex de Chypre. Ce qui unifie l'oeuvre et ce qui lui permet d'échapper à la simple compilation, c'est évidemment le jeu rimique et rythmique, nécessairement redevable à un individu particulier. Bibliographie Aquien Michèle, Dictionnaire de poétique, Paris, Librairie Générale Française, coll. Le Livre de poche , 1993. Aquien Michèle, La versification appliquée aux textes, Paris, Nathan, coll. 128 , 1993. [...]

[...] Outre l'allusion verbale et le travail des rimes, on pourrait citer l'art du contrafactum, qui consiste en littérature à remployer un refrain connu dans un contexte nouveau, notamment du sacré au profane. Allegiez moy, doulce plaisant brunette, Ou Jesus Christ volt [voulut] prendre char humaine chante audacieusement Jean Molinet. La brunette en question est la Vierge, bien entendu, mais le premier vers appartenait à l'origine à une chanson profane, et même plutôt légère. Tous ces artifices nous surprennent. Leur virtuosité semble préfigurer les recherches de l'Oulipo. [...]

[...] Après avoir présenté ce mouvement littéraire, attardons-nous plutôt sur les textes en vers des Grands Rhétoriqueurs. Tombés dans l'oubli vers le milieu du 16e siècle, ils ont été réhabilités par la critique moderne, notamment pour leurs allusions verbales : c'est ainsi qu'on appelle, à la Renaissance, le jeu de mots et sur les mots. Ainsi, dans ce poème de Guillaume Crétin, adressé à Jean Molinet : Molinet net ne rend son canon, non, Trop de vent vend, et met noz esbas bas ; Bon credit dit, qui donne au renom nom, Mais effors fors tornent en bran son son Oultrageux jeulx le font de solas las ; Se Venus nudz nous tient en ses las las, Par Bacchus culz scavront du coullart l'art : En espoiz pois sert on de vieillart lard [...] Il est inutile de risquer ici une glose : ce poème s'inscrit dans un échange poétique, il s'agit d'une réponse, et les renvois à ce qui s'est déjà dit seraient trop longs à détailler. [...]