Un peu plus d'un siècle après la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, un fervent humaniste, Michel de Montaigne, rédige, de 1580 à sa mort en 1592, les Essais, une œuvre dont il est lui-même la matière.
Dans ses ouvrages qu'il revisite fréquemment, donnant ainsi lieu à de nouvelles éditions, Montaigne veut analyser l'homme entièrement, en lui-même, sans aucune attache religieuse ou doctrinale. Il est l'un des premiers hommes à avoir considéré la notion de relativisme culturel : en témoigne « Notre monde vient d'en trouver un autre », un article de ses Essais dans lequel il reconstitue une rencontre entre Indiens et colons lors de la conquête du Nouveau monde.
[...] Seulement, le point de vue change : Montaigne ne considère pas comme acquise la supériorité de l'homme européen. D'ailleurs, à la différence de Colomb, il rapporte aussi bien les paroles des indigènes que celles des colons : en effet, il transcrit les réponses que les Indiens auraient pu faire aux demandes des Espagnols. Leurs paroles sont même plus longues : alors que huit lignes sont consacrées aux navigateurs (de la ligne 3 à la ligne vingt le sont aux Indiens (de la ligne 11 à la ligne 31). [...]
[...] Le dialogue en lui-même incite le lecteur à épouser le parti des Indiens. Les Espagnols se revendiquent des gens paisibles à la ligne mais les Indiens leur rétorquent qu'ils n'en portent pas la mine à la ligne 12. Lorsque les Européens disent que le roi de Castille est le plus grand prince de la terre habitable, auquel le Pape, représentant de Dieu sur la terre, avait donné la principauté des Indes et proposent aux Indiens d'en devenir tributaires s'ils veulent être traités avec bienveillance (lignes 4 à on leur répond vertement que puisque leur roi demande, il doit être indigent et nécessiteux à la ligne 13, et qu'il n'a aucune légitimité sur un territoire déjà habité (ligne 14 à 16). [...]
[...] Dans la partie narrative également, Montaigne laisse transparaître son point de vue. Tout d'abord, aux lignes 3 et 11 : ils firent à ce peuple leurs déclarations habituelles et La réponse fut telle Les Indiens sont plus vifs d'esprit que les Espagnols, puisqu'ils trouvent des arguments irréfutables à opposer à un discours rôdé de longue date. Puis à la ligne 31 : Voici un exemple des balbutiements de ces prétendus enfants Ces prétendus enfants sont, nous l'avons démontré, plus civilisés que les colons. [...]
[...] Cette mise en scène veut remettre en question la légitimité de cette dernière et modifier l'image que les Européens ont eue des Indiens ; c'est d'ailleurs pour eux que Montaigne prend clairement parti. Comment invite-t-il le lecteur à remettre en cause la prétendue naïveté des Indiens ? Nous tenterons de répondre à cette question à l'aide de trois grands axes : l'étude de la composition de l'extrait puis du dialogue entre Indiens et colons, et enfin l'examen de la mise en scène de la rencontre. [...]
[...] Ainsi, bien que les Espagnols justifient leurs demandes au nom du roi de Castille, du pape et de leur dieu, les Indiens leur opposent des arguments de logique implacable. De plus, bien qu'ils menacent également leurs interlocuteurs, eux ont des exemples à soumettre et sont sur leur territoire. Cet extrait des Essais présente les Indiens sous un nouveau jour : loin d'être des peuples inférieurs, ils surpassent les Européens par leur esprit et leur manière de vivre infiniment moins matérielle. C'est du moins de cette manière que veut les faire voir Montaigne. [...]
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