« La chanson approche de tant près l'ode, que de son et de nom se ressemblent quasi en tous points : car aussi peu de constance à l'une que l'autre en forme de vers, et usage de rime » affirme Thomas Sébillet dans son Art poétique français. Et, de fait, les chansons composées par Marot dans son Adolescence clémentine sont de factures très diverses : il s'agit avant tout de poèmes lyriques d'inspiration simple, imitant volontiers le style des chansons populaires, à ceci près qu'elles présentent rarement un refrain. La « Chanson première » est à ce titre très représentative : composée de trois quatrains, elle exploite le thème traditionnel de l'amour qui mène à la mort tout en jouant allègrement sur les homophonies, et son caractère franc et simple allié au jeu sur les signifiants lui permet d'ouvrir la série des chansons sur une tonalité plaisante, en dépit d'un thème plutôt morose.
[...] Mais c'est ici le décasyllabe qui est choisi, vers noble par excellence au XVIème siècle, ce qui laisse augurer du sérieux de ce poème. Si trois des chansons numérotées et 37 ont des titres spécifiques, les autres en sont en revanche dépourvues, contrairement aux rondeaux qui inscrivaient toujours au moins, en tête du poème, le nom du destinataire à défaut du sujet abordé. La première strophe montre d'emblée le poète présent, dans la mesure où les deux verbes sont conjugués à la première personne, mais il choisit en même temps de s'effacer en faisant disparaître les pronoms personnels sujets Il s'agit ainsi d'annoncer le thème de la chanson (il va parler de lui), tout en montrant bien qu'il va laisser la place aux sentiments qui, d'emblée, le submergent et l'envahissent : on remarque en effet une structure chiasmatique dans ce premier vers, puisque les sentiments (à savoir le plaisir et le déconfort enferment le moi au centre du vers. [...]
[...] Cet enfermement n'est toutefois pas définitif, puisque le dernier vers propose une double lecture : la préposition pour est en effet ambiguë et peut se prêter à deux types d'interprétations, l'une causale et l'autre finale. En d'autres termes, le cœur s'en va-t-il en raison de la mort de la dame ou pour se rendre vers sa dolente mort ? Dans le même registre et pour pousser quelque peu cette lecture à double entente, le déterminant possessif sa renvoie-t-il à la dame ou au cœur ? [...]
[...] Ces deux images vont d'ailleurs du côté de l'inertie et affichent clairement la complaisance (traditionnelle) du poète enfermé dans sa douleur. Deux traditions se heurtent : le ressassement à la Pétrarque (souvenez-vous : 366 poèmes sur le même sujet, ou presque, dans le Canzoniere et la dynamique de la chanson, très en vogue au XVIème siècle ; on ajoutera le souvenir des grands Rhétoriqueurs pour les jeux formels. Le dernier quatrain présente un élargissement du propos qui s'étend à la Dame et au monde dans son ensemble : ce dernier, l'ici-bas, est désormais présenté comme inaccessible puisque la dame est morte. [...]
[...] Les trois premiers vers présentent par ailleurs une structure similaire, dans la mesure où chacun des vers s'ouvre par un nom positif, lequel se trouve alors en position forte, tandis qu'il se ferment par trois substantifs de sens négatif ( déconfort douleur malheur : la triple antithèse, qui semblerait a priori faire la part belle au bonheur en raison de sa position syntaxique, a en fait l'effet contraire puisque ces trois entités positives relèvent désormais du passé, comme le montrent les termes ne plus remis et tourné en Le poète, comme séparé de lui-même, devient alors double : d'une part un être qui souffre, et d'autre part un avoir qu'il n'a plus ; il se définit donc par le manque et par la négative et ce dualisme est souligné par les antonymes et par le polyptote heur malheur et malheureux La complaisance (là encore, traditionnelle) face à la douleur est toutefois rejetée sur Fortune laquelle serait responsable de tous ces maux : le poète est victime, impuissant, enchaîné (cf. les rimes) à sa douleur. [...]
[...] Comment dépasser ce paradoxe entre le piétinement et la ronde, le mouvement ? Analyse linéaire Le titre, Chanson première met l'accent sur la position initiale de cette pièce, qui ouvre une section de 42 chansons de factures très diverses : si ces dernières sont toutes de forme strophique, on constate une grande diversité dans les mètres utilisés, les octosyllabes et décasyllabes étant certes privilégiés, mais Marot ne refusant pas d'utiliser des hexasyllabes voire, dans plusieurs pièces, de varier le mètre pour donner davantage de mouvement à sa chanson. [...]
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