Le Proust contre Cocteau que publie Claude Arnaud chez Grasset témoigne de la double exigence de l'auteur, encore plus clairement à l'œuvre ici que dans la biographie du poète qu'il signait chez Gallimard en 2003 dans la collection NRF biographies. Une exigence de précision tout d'abord qui peut sembler la moindre des choses dans un ouvrage qui se penche sur les vies et les œuvres de deux des écrivains les plus en vue du XXe siècle en France. Sa réflexion s'appuie en effet sur une recherche fouillée et une connaissance approfondie des écrits des deux auteurs, même si l'on peut regretter une absence de sources plus précises à la fin de l'ouvrage : crainte de rebuter un public non éclairé ? Il ne rédige pourtant pas un livre purement universitaire dont il prétendrait comme le veut l'exercice parfaitement absent. Il nous donne au contraire avec courage et simplicité – à la manière dont Cocteau le fit lui-même dans certains de ses écrits tardifs comme La Difficulté d'être ou Le Journal d'un inconnu – quelques clefs essentielles de sa propre subjectivité et de son approche personnelle des deux personnages passés au scalpel. La seconde exigence de Claude Arnaud est en effet bien là : dans une approche intuitive complémentaire à l'analyse purement intellectuelle.
[...] Le milieu de Cocteau est une bourgeoisie dégagée de toute obligation par ses revenus, qui vit à l'écoute des musiciens, des poètes et des peintres. Un phénomène que l'on retrouve à travers toute l'Europe au tournant du siècle. Est-il ( ) ménage plus doux et plus cruel, ménage plus fier de soi, que ce couple d'un fils et d'une mère jeune ? demande Cocteau dans La Machine infernale. Claude Arnaud souligne à quel point cette relation fut complice et étouffante. J'adorais ma mère, confirmera Cocteau plus tard, non parce qu'elle était ma mère, mais parce que c'était une femme étonnante. [...]
[...] Claude Arnaud souligne bien l'absence d'influence littéraire de Proust l'aîné sur Cocteau le cadet prodige. La publication de la Recherche s'étale sur quatorze années. Pas assez fulgurant pour le poète épidermique. Il est probable qu'il ne lut pas le Livre, préférant garder en mémoire les lectures que lui en fit son auteur au fur et à mesure de la genèse de l'œuvre. C'est dire que la Recherche était intimement liée dans l'esprit de Cocteau à son auteur et à sa voix. [...]
[...] En levant les yeux, Cocteau remarque la cheminée où s'entassent les manuscrits de la Recherche et que Céleste a encore aidé à compléter la veille, Proust lui dictant d'ultimes précisions sur la mort de Bergotte : cette pile de papier continuait de vivre comme la montre au poignet des soldats morts, note-t-il. L'homme s'est figé, l'œuvre commence à respirer La NRF rend hommage à Proust et commande même un texte à Cocteau. C'est faire amende honorable. Après tout, la NRF avait d'abord refusé Proust, quand Cocteau fut l'un des premiers à défendre son talent. Cocteau signe la voix de Marcel Proust, un hommage sublime. [...]
[...] Cocteau n'aime plus que les personnalités droites et les œuvres pures. Ses désirs déclinent. Il se retourne contre tous ceux qu'il a trop souvent loués. La perversité amoureuse de Sachs, la cruauté conjugale de Picasso, le plaisir que prend Gide à tirer un enfant en guenilles de sa mansarde, à soixante-dix ans passés, lui répugnent désormais. L'omniprésence du Mal hante cet homme fier d'avoir une sexualité saine, dirigée vers des adultes consentants. Pour lui, la Recherche dissimule une montagne de merde. [...]
[...] Pour cela, il a dû suivre le processus qui est celui du biographe : être à la fois dedans et dehors, devenir Jean Cocteau pour éprouver son approche de l'intérieur tout en gardant sa capacité d'analyse et surtout d'autoanalyse afin de maintenir la distance nécessaire à une honnêteté intellectuelle. Claude Arnaud nous livre ainsi aujourd'hui un livre juste, érudit, intelligent, sensible au sens où l'entendent les Anglais, qui placent l'intelligence entre le cerveau et le cœur. Un ouvrage incarné où Proust comme Cocteau semblent exister pour de vrai. [...]
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