L'oeuvre de Claudel ne se comprend pas sans la puissante inspiration religieuse qui l'anime. Depuis qu'il eut la révélation de l'existence de Dieu le jour de Noël 1886, son art n'a cessé de s'alimenter aux deux sources de la poésie et de la Foi. "Les cinq grandes odes ", qu'il écrit de 1904 à 1908, mais ne publie qu'en 1910, en témoignant avec éclat. Claudel y affirme l'unité profonde de la Création divine et de la Création poétique : toutes deux jaillissent de la Parole. En effet, de même que, selon la Genèse, le Verbe sacré crée le monde par le seul pouvoir de l'énonciation, de même le poète, en nommant les choses, prend possession de l'Univers.
C'est à quoi Claudel se livre dans la seconde ode qu'il rédige en 1906, et, plus particulièrement, dans le passage que nous allons commenter. Fort de sa foi que lui permet de comprendre le mystère de la Création, il dresse l'inventaire du cosmos.
[...] II) Une expérience poétique S'il est évident qu'une telle contemplation ne se justifie que dans et par la Foi, l'expérience mystique se confond cependant avec l'expérience poétique. "Comme la phrase qui prend aux cuivres Gagne les bois et progressivement envahit les profondeurs de l'orchestre ( . Ainsi du plus grand Ange qui vous voit jusqu'au caillou de la route et d'un bout de votre création jusqu'à l'autre." Cette comparaison, renforcée par "ainsi", souligne la similitude des deux créations, poétique ("comme la phrase . et divine. [...]
[...] La poésie de Claudel devient imitation de la Création et le poète imitateur de Dieu. De fait, les paroles que profère Claudel laissent l'impression qu'il s'agit d'un discours divin : "J'envisage l'immense octave de la Création" (v. 4). Qui d'autre que Dieu ou que le poète inspiré par Lui pourrait tenir ce langage ? Mais ce n'est pas seulement par le langage que communiquent la poésie et la Foi ; c'est aussi par le rythme et par la technique, particulière à Claudel, du "verset". [...]
[...] Si l'on conçoit aisément que la mission du poète soit d'explorer le monde, l'on imagine plus difficilement qu'il scrute et domine "invisible". Ce dernier thème n'en parcourt pas moins tout l'extrait. Il englobe d'abord ce qui, tout en possédant une existence physique, concrète, échappe au regard humain telle "l'armé des Cieux" (v. autre formule biblique, qui figure les constellations, ou tel encore l'infiniment petit, représenté par le "caillou de la route" (v. 14). Mais le thème s'étend aussi aux créatures spirituelles, immatérielles, par essence indiscernables : "Le mouvement ineffable des Séraphins se propage aux Neuf ordres des Esprits" (v. [...]
[...] Si les versets ne riment plus entre eux, les rimes intérieures demeurent fréquentes : "VOUs êtes pris et d'un bOUt du monde jusqu'à l'autre autOUr de vOUs." (v. Les jeux de sonorités obtenus par la répétition de voyellesou de consonnes se multiplient. L'allitération [répétition d'une consonne initiale] de la consonne L illustre, précisément, le lien "liquide" : "Toutes vos créatures jusqu'à vous il y a comme un Lien Liquide." (v. 20) La mise en oeuvre de ces procédés rythmiques et de ces jeux sonores crée l'impression d'harmonie orchestrale. [...]
[...] Grâce au rythme du verset, il restitue à la Parole son sens premier et sacré. C'est en définitive au mystère même de la grâce de Dieu, principe créateur du monde, qu'il nous initie. [...]
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