Lorsque l'on compare l'anecdote de Pilpay et la fable mise en vers par La Fontaine, intitulée « Le Chat, la Belette et le Petit Lapin », on prend immédiatement conscience de l'immense travail réalisé par le fabuliste du XVIIe siècle sur le récit et la morale du texte du sage indien Pilpay. La réécriture ne concerne pas seulement le passage de la prose au vers, mais elle renouvelle le récit tout entier qu'elle enrichit, y compris la moralité. D'une allégorie froide et sèche, la fable fait une véritable petite comédie dramatique, où la cocasserie recouvre cependant le sérieux. Le débat central entre la belette et le petit lapin porte sur le droit de propriété. Cette dernière n'a-t-elle pour fondement (vers 21-24) qu'une coutume, ou est-ce l'occupation qui la fonde ? Mais tout cela est atténué ou voilé par des portraits réalistes et drôles, des dialogues animés, de la poésie, de l'humour et de l'ironie.
[...] En ce qui concerne la moralité, nous comprenons mieux maintenant pourquoi le débat sur la loi naturelle et le droit social est oublié en quelque sorte dans la moralité. (46/47) Le discours de la belette va très loin dans la contestation de ce droit de propriété, puisqu'elle remet en question la légitimité de la possession d'un royaume par un roi ! Ainsi ce que pouvait avoir de subversif ou de dangereux le débat central est neutralisé par la moralité qui dévie le problème. [...]
[...] Le chat mange la belette et le petit lapin. Son jugement de la griffe et de la dent est un coup de force rendu possible par la faiblesse des deux ennemis, qui sont venus, sans méfiance, se fourrer dans les pattes de la justice. Au fond, La Fontaine ne croit pas à la capacité humaine de construire un état social détaché définitivement d'un état de nature, source de conflit et de violence. Certes l'intérêt bien compris des hommes attend du pouvoir sécurité et protection. [...]
[...] Le Chat, la Belette et le Petit Lapin, Fables VII 16 La Fontaine Texte Source : Du chat et d'une perdrix (c'est un corbeau qui parle). Il y a quelque temps j'avais fait mon nid sur un arbre, et j'avais pour voisin une perdrix, avec laquelle, je fis amitié à cause du voisinage, et nous nous entretenions souvent de diverses choses. Je ne sais pour quel sujet elle s'absenta, et demeura si longtemps sans paraître que je la croyais morte, mais elle revint quelque temps après, et trouva sa maison occupée par un autre oiseau, qu'elle voulait mettre dehors ; mais il refusa d'en sortir, disant que sa possession était juste et légitime. [...]
[...] Les deux animaux sont d'accord sur ce point : pour faire cesser la bataille des droits, chacun doit renoncer à son pouvoir et reconnaître la compétence en droit du chat fourré auquel il se soumet pour régler le débat. Tous deux abandonnent leur droit individuel, et en font dépositaire celui qu'on peut appeler souverain. Voilà un point capital : la parole, le langage, selon la plupart des penseurs politiques, fait de l'homme un animal raisonnable, fait pour vivre en société. [...]
[...] L'entrée en scène de la belette est évoquée par un alexandrin qui suggère ses calculs (l'absence du maître) et son sens pratique (ce lui fut chose aisée). Elle porta chez lui ses pénates, un jour Qu'il était allé faire à l'Aurore sa cour Parmi le thym et la rosée. Les vers qui suivent donnent un bel exemple de dissonance et de mélange des tons : après le déménagement pompeux de la belette, qui emporte avec elle les statues des dieux du foyer, selon la tradition romaine, le vers tourne court : un jour tombe là au hasard, semble-t-il, et nous découvrons soudain au vers 6 une évocation gracieuse et dansante, une vision poétique, le rendez-vous matinal du lapin avec l'Aurore, parmi le thym et la rosée. [...]
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