Une Charogne, Spleen et idéal, Les Fleurs du Mal, Baudelaire, poésie, memento mori, sublimation, laideur, amour, cynisme, dérision, oral
Le texte « Une Charogne », tiré du recueil de Baudelaire Les Fleurs du mal (1857), section « Spleen et idéal », est un poème de douze quatrains qui met en place ce topo très classique du memento mori ; mais il le fait d'une manière tout à fait originale.
Dans les neuf premiers quatrains, le poète s'y adresse directement à la femme qu'il aime, pour lui rappeler une promenade au cours de laquelle ils découvrirent une charogne pourrissant dans un fossé. Dans les trois dernières strophes, il compare l'être aimé à cette carcasse, pour lui rappeler sa finitude.
[...] Le détournement de la poésie traditionnelle La dérision envers l'être aimé Pour rappeler à la femme qu'il aime qu'elle va mourir, Baudelaire la compare ironiquement à la charogne : Après la longue description, revient à sa femme de manière très brutale et inattendue : « vous serez semblable à cette ordure » (v. 37) Avec beaucoup de cynisme, et fort peu de galanterie, Baudelaire fait alors se mêler deux champs lexicaux antithétiques : - « ordure, horrible infection, moisir, ossements, vermine, décomposés » - « étoile de mes yeux, soleil de ma nature, mon ange et ma passion, reine des grâces, ma beauté » + l'apostrophe lyrique « ô » La dérision envers la poésie amoureuse traditionnelle Baudelaire s'amuse ici avec son lecteur : il insère sa description de la charogne dans un contexte amoureux cliché : Le premier vers du texte commence par l'évocation de souvenirs amoureux ; il est très mélodieux (allitération en et se termine sur l'apostrophe affectueuse « mon âme » Le deuxième vers pose un cadre caractérisé de manière excessivement méliorative : « beau matin » + connotations positives de l'été + intensif « si doux » (c'est un cliché ) Effet de retardement : il faut attendre le deuxième hémistiche du 3ème vers pour découvrir de quel souvenir amoureux Baudelaire parle. [...]
[...] Contre les vers qui rongent, il y a les vers immortels. Le poème relève donc bien du genre du memento mori. Cependant, Baudelaire le renouvelle ici par son cynisme et son réalisme macabre, qui traduit son rejet de la poésie traditionnelle et sa recherche d'une nouvelle poétique. [...]
[...] rejet v18-19 : « de noirs bataillons . (de quoi / de larves . » La description passe aussi par l'usage des autres sens : L'odorat : "suant les poisons", « ventre plein d'exhalaisons », « puanteur si forte » L'ouïe : « les mouches bourdonnaient », « pétillant », « rendait une étrange musique », « rythmique » Le toucher : « brûlante », « épais liquide » Utilisation d'effets d'amplification : Termes intensifs : "plein d'exhalaisons" Hyperbole : « puanteur si forte que vous crûtes vous évanouir » Larves si nombreuses que Baudelaire parle de « bataillons », ce qui évoque le nombre et la densité Baudelaire nous fait donc une description très détaillée du cadavre, s'attardant avec complaisance sur celui-ci sans rien épargner au lecteur, de manière assez provocatrice. [...]
[...] 39-41) Le tout appuyé par les « ô » lyriques caractéristiques Cette exagération des appellations amoureuses clichés laissent bien paraître l'ironie et la distanciation du poète, surtout qu'il fait rimer « passion » avec « horrible infection » (on notera la diérèse sur « infection » et « passion » qui fait d'autant plus ressortir l'antithèse) Cela crée ainsi un effet de dérision envers la belle poésie, morte aux yeux de Baudelaire : Il renverse la poésie idéalisante qui a tendance à glorifier la beauté de la femme aimée, en lui opposant de manière très brutale les réalités scientifiques du pourrissement des corps : "vous irez moisir parmi les ossements", "la vermine qui vous mangera des baisers" On décèle également son ironie à l'égard de la femme dans la paronomase aux rimes des vers 14 et 16 : tandis que la charogne « s'épanoui[t] », c'est-à-dire prendre de la force et de la vigueur, on voit la femme « s'évanouir ». La poésie de la charogne prend donc la lace de la poésie de la beauté et de l'amour, qui s'efface. [...]
[...] « Une Charogne » est bien une des fleurs du mal, c'est-à-dire un objet esthétique où fusionnent la beauté de la fleur (de la poésie, de l'art, etc.) à l'horreur du mal (la mort et la peur de la mort, de la décomposition, de la solitude, etc.) Conclusion : Baudelaire réécrit ici à sa façon un memento mori en jouant avec les codes de la poésie traditionnelle qu'il raille et prétend dépasser en faisant du cadavre en putréfaction un objet étrange, mouvant, esthétique, à la fois grotesque et sublime (cf. [...]
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