La Chanson de Roland est la plus célèbre des chansons de geste. Créée à la fin du XIe siècle par un poète anonyme – que certains croient être Turold, dont on peut lire le nom dans le dernier vers (« Ci falt la geste que Turoldus declinet » ; v.4002) –, elle raconte, en l'amplifiant et le dramatisant un épisode des guerres menées par Charlemagne contre les Sarrasins, et qui n'est autre que la désastreuse bataille qui se serait déroulée à Roncevaux. Héros éponyme de l'œuvre, Roland est également accompagné d'Olivier, son fidèle compagnon. Placés à l'arrière-garde, Roland, Olivier et les douze paires doivent s'opposer aux Sarrasins. Avant la bataille, Olivier tente de convaincre Roland de sonner du cor et d'appeler Charlemagne à la rescousse, mais ce dernier refuse par orgueil. La mort d'Olivier, relatée dans les laisses 145 à 151, marque un temps d'arrêt dans la violence guerrière présente dans la Chanson de Roland. L'action se focalise désormais sur un personnage jusqu'alors peu présent sur le devant de la scène, et plus souvent en retrait, dans l'ombre de son compagnon Roland.
[...] Une mort lente, consciente et pieuse Mais l'épisode de la mort d'Olivier ne confère pas simplement au personnage une dimension héroïque d'un point de vue guerrier, mais insiste également sur le caractère pieux et surtout humain du personnage, qui subira une mort lente et consciente, comme il est coutume de le voir au Moyen Age ; en effet, la belle mort ne doit pas arriver par surprise, mais elle doit être lente et ressentie (v.1952-2021), afin de permettre au personnage de dire adieu et de se confesser. Le schéma de la mort pieuse est ici respecté. On peut relever l'intensité dramatique produite par les reprises des premiers vers dans les laisses 146,147 et 150, qui font ressentir à travers une gradation la mort imminente d'Olivier : tout d'abord, Olivier sent qu'il est frappé à mort (v.1952), puis Olivier sent qu'il est blessé à mort (v.1965), et enfin Olivier sent que la mort le serre de très près (v.2010). [...]
[...] Pardonnez-le moi !''/Roland répond : n'ai aucun mal. /Je vous pardonne ici et devant Dieu.'' Cette scène de pardon peut faire écho à la querelle concernant le cor ; en effet on voit bien que les deux personnages cherchent une réconciliation avant la mort. Olivier ne montre aucune rancœur envers Roland de n'avoir pas sonné le cor puisqu'il se bat jusqu'au bout en croyant la victoire possible ; quant à Roland, lui aussi oublie complètement le désaccord qui a pu exister entre eux, et préfère affirmer sa tendresse pour celui qu'il va perdre incessamment sous peu : Je suis Roland qui vous ai toujours aimé (v.2001). [...]
[...] Ce tutoiement brutal a également pour but de rapprocher encore plus les deux compagnons, dans un moment qui pourtant les sépare. Mais outre les prises de paroles de Roland, les interventions du narrateur renforcent elles aussi le pathétique de la scène : en effet, à la laisse 150, il est question des sentiments de Roland : Le preux Roland le pleure et se lamente ; /jamais au monde vous n'entendrez homme plus accablé. (v.2022-23). Ce dernier s'exprime avec tendresse (v.2026) et fait une véritable déclaration d'amitié à Olivier, dans laquelle il exprime ses regrets et invoque leurs souvenirs communs : Des jours, des ans nous avons été ensemble (v.2028). [...]
[...] La violence de l'image frappe les lecteurs : le rouge se détache avec agressivité du teint livide, blême, pâle et décoloré (v.1979) du personnage. On peut d'ailleurs noter l'effet d'insistance, puisque les quatre adjectifs utilisés renvoient sensiblement à la même image, qui n'est autre que celle d'un Olivier à l'aspect cadavérique, ce qui renforce considérablement le pathétique de la scène. Ensuite, c'est la vue qui commence à faire défaut à Olivier : trouble d'abord (v.1991), il la perd totalement en même temps que l'ouïe aux vers 2011-2012 : ses deux yeux lui tournent dans la tête,/il perd l'ouïe et la vue tout à fait Par la suite, Olivier dévoile toute son humanité : il commence par descendre de son cheval et se couche par terre (v.2013), ce qui fait de lui un être humain avant d'être un chevalier ; le métier d'armes n'est plus représenté, l'image de l'épée disparaît ainsi que tous les attributs du chevalier, ce qui renforce la proximité du personnage et atténue quelque peu la violence de la guerre. [...]
[...] Enfin, dans une ultime plainte, c'est la mort de Roland lui-même qui est annoncée : te voilà mort ; quelle douleur pour moi que de vivre ! (v.2030) : en effet, le deuxième évanouissement de Roland montre un homme qui se laisse presque mourir, ou du moins tomber à terre, puisque seul son cheval le retient et lui permet de rester en selle. On peut voir alors dans ce vers l'expression du lien qui unit les deux hommes, et qui perdurera jusque dans la mort. [...]
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