Dans cette étude, nous comparerons les deux poèmes épiques retraçant l'histoire à l'époque carolingienne. La "Chanson de Roland" sert de prémices à celle d'Aspremont, mais les faits narrés sont antérieurs dans celle d'Aspremont à celle de Roland. Nous verrons quelles sont les influences et les échos qu'il est possible d'établir entre les deux. Ces poèmes épiques ont servi essentiellement dans le cadre de la préparation (militaire et psychologique) des croisades et donc avaient une fonction hautement didactique et politique.
Dans ce cadre-là, si la victoire des Français semble évidente avant même le début de la chanson de geste, nous pouvons nous demander comment les auteurs s'y prennent-ils pour rendre le traitement de la guerre crédible pour un auditeur de l'époque ?
Dans les deux textes, la guerre et les ressorts du récit épique ne sont là que pour attiser la haine contre l'ennemi. En effet, nous observons la présence de longs épisodes guerriers décrits dans le détail et avec la démesure numérique et matérielle habituelle pour un récit épique. L'élément fondateur et principal qui cimente toute cette narration guerrière est Dieu, le Dieu chrétien.
En effet, il y a un glissement opéré de la sphère privée qui est un affrontement personnel entre deux hommes Roland et Ganelon dans "La Chanson de Roland" par exemple, à un conflit de civilisations, de religions. Ainsi, dans cette partie nous verrons quels sont les ressorts narratifs de cette guerre de religion.
[...] Dans cette justification de la violence par la religion, la principale différence entre La Chanson d'Aspremont et La Chanson de Roland est que dans cette dernière, les païens ne comprennent pas au début les réels enjeux religieux de la guerre pour les chrétiens : il s'agit d'agrandir la sphère d'influence du christianisme. Charles est un roi belliqueux et son personnage est représentatif de l'imbrication du politique et du religieux. La guerre sainte à une fonction également politique qui est la puissance territoriale, les biens et les honneurs ce qui semble échapper aux Africains. [...]
[...] Ici, les chevaliers se libèreraient de leurs péchés afin de convertir ou éliminer les hérétiques. Dans ce texte, il s'agit d'une réelle différence vis-à-vis de La Chanson d'Aspremont. De plus, on y observe également la répétition (interne à La Chanson de Roland) de rituels d'exécution avec violence. Ce rituel d'exécution est une réelle expiation des forfaits commis à l'image de la théâtralisation, à cette époque, des martyres. Ces pièces de théâtre étaient populaires et avaient une fonction didactique forte : il s'agissait de montrer l'injustice des souffrances subies par des saints. [...]
[...] C'est à ce moment-là que Naimes demande à Charles de faire Roland Chevalier, ce qu'il refuse car ce dernier est trop jeune. Si La Chanson de Roland insiste beaucoup sur la barbe de Charles, symbole éminent de pouvoir et de sagesse, ce texte ne développe guère davantage le thème de ce choc des générations qui est exploité plus largement dans La Chanson d'Aspremont. La jeunesse et l'insouciance qui l'accompagne sont mises en exergue par ce thème du conflit générationnel et constituent également un ressort narratif d'excitation des sentiments de révolte (laisser des jeunes orgueilleux faire la guerre) ou d'empathie (innocence infantile de jeunes chevaliers tués) du public qui écoute ce récit. [...]
[...] La femme est donc moins spirituelle que l'homme: en effet, certaines putains arabes vont jusqu'à profaner les quatre dieux sarrasins, ce qu'Eaumont ne peut croire lui-même. De l'autre côté, il y a la femme chrétienne qui donne des conseils fondamentaux à Girard notamment sans laquelle, il le dit lui-même, il n'aurait pas la moitié de valeur guerrière. L'articulation du motif féminin subit un processus de complexification par le traitement de la guerre en vertu des problématiques dues à sa dimension religieuse dans La Chanson d'Aspremont. [...]
[...] Le soupçon de la trahison est immédiatement injecté tel un poison dès qu'il y a désunion dans un camp : les rois africains pensent qu'Eaumont les a trahis. On voit bien que ce thème de la trahison est présent donc dans les deux chansons de geste avec un glissement entre les deux textes d'un camp à l'autre. Les conflits humains dans un même camp constituent donc un éloignement de l'omniprésence du divin : les ressorts narratifs sont internes à la vie sociale et militaire des hommes entre eux sans intervention divine. [...]
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