Céline, "Voyage au bout de la nuit", "Je refuse la guerre"
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Lecture analytique semi-rédigée du passage "Je refuse la guerre" tiré de Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline.
Sommaire
I) Une série d'oppositions
A. Les indices d'énonciation B. L'expression de la négation
II) L'individualité et le cours de l'histoire
A. Le souvenir et l'individu B. Deux interlocuteurs radicalement opposés
III) L'écriture célinienne
A. Le style populaire B. La syntaxe
Conclusion
Passage analysé
Oh ! Vous êtes donc tout à fait lâche, Ferdinand ! Vous êtes répugnant comme un rat... - Oui, tout à fait lâche, Lola, je refuse la guerre et tout ce qu'il y a dedans... Je ne la déplore pas moi... Je ne me résigne pas moi... Je ne pleurniche pas dessus moi... Je la refuse tout net, avec tous les hommes qu'elle contient, je ne veux rien avoir à faire avec eux, avec elle. Seraientils neuf cent quatre-vingt-quinze millions et moi tout seul, c'est eux qui ont tort, Lola, et c'est moi qui ai raison, parce que je suis le seul à savoir ce que je veux : je ne veux plus mourir. - Mais c'est impossible de refuser la guerre, Ferdinand ! Il n'y a que les fous et les lâches qui refusent la guerre quand leur Patrie est en danger... - Alors vivent les fous et les lâches ! Ou plutôt survivent les fous et les lâches ! Vous souvenez-vous d'un seul nom par exemple, Lola, d'un de ces soldats tués pendant la guerre de Cent ans ? ... Avez-vous jamais cherché à en connaître un seul de ces noms ? ... Non, n'est-ce pas ? ... Vous n'avez jamais cherché ? Ils vous sont aussi anonymes, indifférents et plus inconnus que le dernier atome de ce presse-papiers devant nous, que votre crotte du matin ... Voyez donc bien qu'ils sont morts pour rien, Lola ! Pour absolument rien du tout, ces crétins ! Je vous l'affirme ! La preuve est faite ! Il n'y a que la vie qui compte. Dans dix mille ans d'ici, je vous fais le pari que cette guerre, si remarquable qu'elle nous paraisse à présent, sera complètement oubliée... A peine si une douzaine d'érudits se chamailleront encore par-ci, par-là, à son occasion et à propos des dates des principales hécatombes dont elle fut illustrée... C'est tout ce que les hommes ont réussi jusqu'ici à trouver de mémorable au sujet les uns des autres à quelques siècles, à quelques années et même à quelques heures de distance... Je ne crois pas à l'avenir, Lola...
Louis-Ferdinand CELINE, Voyage au bout de la nuit (1932)
I) Une série d'oppositions
A. Les indices d'énonciation B. L'expression de la négation
II) L'individualité et le cours de l'histoire
A. Le souvenir et l'individu B. Deux interlocuteurs radicalement opposés
III) L'écriture célinienne
A. Le style populaire B. La syntaxe
Conclusion
Passage analysé
Oh ! Vous êtes donc tout à fait lâche, Ferdinand ! Vous êtes répugnant comme un rat... - Oui, tout à fait lâche, Lola, je refuse la guerre et tout ce qu'il y a dedans... Je ne la déplore pas moi... Je ne me résigne pas moi... Je ne pleurniche pas dessus moi... Je la refuse tout net, avec tous les hommes qu'elle contient, je ne veux rien avoir à faire avec eux, avec elle. Seraientils neuf cent quatre-vingt-quinze millions et moi tout seul, c'est eux qui ont tort, Lola, et c'est moi qui ai raison, parce que je suis le seul à savoir ce que je veux : je ne veux plus mourir. - Mais c'est impossible de refuser la guerre, Ferdinand ! Il n'y a que les fous et les lâches qui refusent la guerre quand leur Patrie est en danger... - Alors vivent les fous et les lâches ! Ou plutôt survivent les fous et les lâches ! Vous souvenez-vous d'un seul nom par exemple, Lola, d'un de ces soldats tués pendant la guerre de Cent ans ? ... Avez-vous jamais cherché à en connaître un seul de ces noms ? ... Non, n'est-ce pas ? ... Vous n'avez jamais cherché ? Ils vous sont aussi anonymes, indifférents et plus inconnus que le dernier atome de ce presse-papiers devant nous, que votre crotte du matin ... Voyez donc bien qu'ils sont morts pour rien, Lola ! Pour absolument rien du tout, ces crétins ! Je vous l'affirme ! La preuve est faite ! Il n'y a que la vie qui compte. Dans dix mille ans d'ici, je vous fais le pari que cette guerre, si remarquable qu'elle nous paraisse à présent, sera complètement oubliée... A peine si une douzaine d'érudits se chamailleront encore par-ci, par-là, à son occasion et à propos des dates des principales hécatombes dont elle fut illustrée... C'est tout ce que les hommes ont réussi jusqu'ici à trouver de mémorable au sujet les uns des autres à quelques siècles, à quelques années et même à quelques heures de distance... Je ne crois pas à l'avenir, Lola...
Louis-Ferdinand CELINE, Voyage au bout de la nuit (1932)
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Extraits
[...] La guerre de Cent ans est comparée à la guerre présente : cette guerre ( . ) sera complètement oubliée ; c'est tout ce que les hommes ont réussi à trouver de mémorable au sujet les uns des autres La dérision de Bardamu se manifeste ici par l'analyse des résultats de cette guerre, tout juste bonne à quelque querelle d'experts, mais sans issue tangible. Sur le plan individuel, la guerre ne laisse que peu d'espoir d'avenir, puisque toute gloire se perdra dans les flots de l'anonymat. [...]
[...] Le recours à l'exemple précis, ainsi le rapprochement avec la guerre de cent ans, fait partie de cette logique concrète, précise, didactique, persuasive. Le sentiment, l'émotion transparaissent d'autant mieux que le sens transmis est négatif, désabusé, pessimiste. Conclusion En conclusion, l'intérêt essentiel de ce passage réside dans cette contestation de l'idéalisme guerrier. La contestation repose sur l'expérience de nullité, de l'inanité des hauts faits héroïques. Le bon sens populaire qui prend conscience de la mort s'exprime en des images aussi percutantes qu'imagées, ce qui donne toute sa force au texte et fait l'originalité de l'écriture célinienne. [...]
[...] - Mais c'est impossible de refuser la guerre, Ferdinand ! Il n'y a que les fous et les lâches qui refusent la guerre quand leur Patrie est en danger . - Alors vivent les fous et les lâches ! Ou plutôt survivent les fous et les lâches ! Vous souvenez-vous d'un seul nom par exemple, Lola, d'un de ces soldats tués pendant la guerre de Cent ans ? . Avez-vous jamais cherché à en connaître un seul de ces noms ? [...]
[...] Ils vous sont aussi inconnus que le dernier atome ( . ) que votre crotte du matin La comparaison dépréciative et imagée avec l' »atome puis la crotte a recours au scatologique pour frapper l'esprit et dire crûment le devenir du soldat, destiné à l'état de déchet. Deux interlocuteurs radicalement opposés Ils sont en totale contradiction. L'infirmière Lola est toute orientée vers la justification du sacrifice des vies humaines, elle parle au nom d'une valeur essentielle, la Patrie. Son discours est accusateur, fait d'insultes morales : lâche répugnant comme un rat fous et lâches De plus, elle se réfugie derrière une impossibilité logique : C'est impossible de refuser la guerre comme s'il y avait une tautologie, un raisonnement circulaire dans ses paroles, un théorème de base autour de la notion de Patrie. [...]
[...] Il s'agit pour lui de signifier qu'il veut sauver sa vie, et que les leçons de la guerre ont été noires. Il se révolte autant contre l'hécatombe que contre ceux qui veulent lui attribuer une raison d'être, en général les gradés, les penseurs, les politiques. Sa révolte est d'inspiration populaire et individuelle, celle du petit qui ne veut pas se laisser endoctriner ni juger par les chefs. La syntaxe La structure des phrases correspond à ce style populaire. Elles sont hachées, brèves et plus énumératives, juxtaposées que subordonnées les unes aux autres. [...]