Céline, "Voyage au bout de la nuit", "L'arrivée à New York"
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Lecture analytique semi-rédigée du passage "L'arrivée à New York" tiré de Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline.
Sommaire
I) L'arrivée des émigrants
A. La surprise des émigrants B. La présentation de New-York
II) L'Amérique et l'Europe
A. L'opposition des villes B. Riches et pauvres
III) Burlesque et nostalgie
A. Le mode burlesque B. La signification du burlesque
Conclusion
Passage analysé
Pour une surprise, c'en fut une. À travers la brume, c'était tellement étonnant ce qu'on découvrait soudain que nous nous refusâmes d'abord à y croire et puis tout de même quand nous fûmes en plein devant les choses, tout galérien qu'on était (1) on s'est mis à bien rigoler, en voyant ça, droit devant nous... Figurez-vous qu'elle était debout leur ville, absolument droite. New York c'est une ville debout. On en avait déjà vu nous des villes bien sûr, et des belles encore, et des ports et des fameux (2) mêmes. Mais chez nous, n'est-ce pas, elles sont couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles s'allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur, tandis que celle-là l'Américaine, elle ne se pâmait pas, non, elle se tenait bien raide, là, pas baisante (3) du tout, raide à faire peur. On en a donc rigolé comme des cornichons. Ça fait drôle forcément, une ville bâtie en raideur. Mais on n'en pouvait rigoler nous du spectacle qu'à partir du cou, à cause du froid qui venait du large pendant ce temps-là à travers une grosse brume grise et rose. et rapide et piquante à l'assaut de nos pantalons et des crevasses de cette muraille, les rues de la ville, où les nuages s'engouffraient aussi à la charge du vent. Notre galère tenait son mince sillon juste au ras des jetées, là où venait finir une eau caca, toute barbotante (4) d'une kyrielle (5) de petits bachots (6) et remorqueurs avides et cornards (7). Pour un miteux (8), il n'est jamais bien commode de débarquer de nulle part mais pour un galérien c'est encore bien pire, surtout que les gens d'Amérique n'aiment pas du tout les galériens qui viennent d'Europe. C'est tous des anarchistes » qu'ils disent. Ils ne veulent recevoir chez eux en somme que les curieux qui leur apportent du pognon, parce que tous les argents d'Europe, c'est des fils à Dollar (9). J'aurais peut-être pu essayer, comme d'autres l'avait déjà réussi, de traverser le port à la nage et de me mettre à crier : « Vive Dollar ! Vive Dollar ! » C'est un truc. Y a bien des gens qui sont débarqués de cette façon-là et qui après ça on fait des fortunes. C'est pas sûr, ça se raconte seulement. Il en arrive dans les rêves des biens pires encore. Moi j'avais une autre combinaison en tête, en même temps que la fièvre (10).
1. Malgré notre situation de galérien. 2. Ici au sens de « connus », « réputés ». 3. Connotation érotique. La ville couchée évoque la femme couchée. 4. Remuante dans l'eau. 5. Quantité, un grand nombre. 6. Petits bacs. 7. Qui émettent un bruit désagréable. 8. Un pauvre. 9. La construction incorrecte est populaire : les monnaies européennes sont filles du Dollar. Ce Dollar personnifié dénonce le culte de l'argent. 10. Les galériens seront mis en quarantaine à leur arrivée.
Céline, Voyage au bout de la nuit, (1932)
I) L'arrivée des émigrants
A. La surprise des émigrants B. La présentation de New-York
II) L'Amérique et l'Europe
A. L'opposition des villes B. Riches et pauvres
III) Burlesque et nostalgie
A. Le mode burlesque B. La signification du burlesque
Conclusion
Passage analysé
Pour une surprise, c'en fut une. À travers la brume, c'était tellement étonnant ce qu'on découvrait soudain que nous nous refusâmes d'abord à y croire et puis tout de même quand nous fûmes en plein devant les choses, tout galérien qu'on était (1) on s'est mis à bien rigoler, en voyant ça, droit devant nous... Figurez-vous qu'elle était debout leur ville, absolument droite. New York c'est une ville debout. On en avait déjà vu nous des villes bien sûr, et des belles encore, et des ports et des fameux (2) mêmes. Mais chez nous, n'est-ce pas, elles sont couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles s'allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur, tandis que celle-là l'Américaine, elle ne se pâmait pas, non, elle se tenait bien raide, là, pas baisante (3) du tout, raide à faire peur. On en a donc rigolé comme des cornichons. Ça fait drôle forcément, une ville bâtie en raideur. Mais on n'en pouvait rigoler nous du spectacle qu'à partir du cou, à cause du froid qui venait du large pendant ce temps-là à travers une grosse brume grise et rose. et rapide et piquante à l'assaut de nos pantalons et des crevasses de cette muraille, les rues de la ville, où les nuages s'engouffraient aussi à la charge du vent. Notre galère tenait son mince sillon juste au ras des jetées, là où venait finir une eau caca, toute barbotante (4) d'une kyrielle (5) de petits bachots (6) et remorqueurs avides et cornards (7). Pour un miteux (8), il n'est jamais bien commode de débarquer de nulle part mais pour un galérien c'est encore bien pire, surtout que les gens d'Amérique n'aiment pas du tout les galériens qui viennent d'Europe. C'est tous des anarchistes » qu'ils disent. Ils ne veulent recevoir chez eux en somme que les curieux qui leur apportent du pognon, parce que tous les argents d'Europe, c'est des fils à Dollar (9). J'aurais peut-être pu essayer, comme d'autres l'avait déjà réussi, de traverser le port à la nage et de me mettre à crier : « Vive Dollar ! Vive Dollar ! » C'est un truc. Y a bien des gens qui sont débarqués de cette façon-là et qui après ça on fait des fortunes. C'est pas sûr, ça se raconte seulement. Il en arrive dans les rêves des biens pires encore. Moi j'avais une autre combinaison en tête, en même temps que la fièvre (10).
1. Malgré notre situation de galérien. 2. Ici au sens de « connus », « réputés ». 3. Connotation érotique. La ville couchée évoque la femme couchée. 4. Remuante dans l'eau. 5. Quantité, un grand nombre. 6. Petits bacs. 7. Qui émettent un bruit désagréable. 8. Un pauvre. 9. La construction incorrecte est populaire : les monnaies européennes sont filles du Dollar. Ce Dollar personnifié dénonce le culte de l'argent. 10. Les galériens seront mis en quarantaine à leur arrivée.
Céline, Voyage au bout de la nuit, (1932)
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Extraits
[...] Après l'expérience de la guerre et celle des colonies, l'épopée de Bardamu continue. Volé par son prédécesseur au comptoir, tombé malade dans sa case délabrée, à demi inconscient, il est vendu comme galérien sur un bateau en partance pour l'Amérique. Il débarque à New York après une rude traversée et va se trouver confronté au Nouveau Monde qu'il aborde par hasard. Cet épisode se trouvait déjà dans la pièce de théâtre L'Eglise à la source du roman Voyage au bout de la nuit. [...]
[...] à travers une grosse brume grise et rose, et rapide et piquante, à l'assaut de nos pantalons A la dureté du béton, des lignes droites des gratte-ciel vient s'ajouter l'aspect peu hospitalier, agressif et austère du climat. arrivée de Bardamu à New-York, transposition romanesque d'une situation connue par des milliers d'homes à son époque, est aussi la dénonciation de l'aspect illusoire de cette terre promise pour les pauvres leur ville L'Amérique tient lieu de terre promise, longtemps désirée et imaginée, sur laquelle on a élaboré des légendes, des mythes : Y a bien des gens qui sont débarqués de cette façon-là et qui après ça ont fait des fortunes. [...]
[...] En revanche, les villes européennes, désignées par un très vague chez mous sont une invitation à l'exploration et à la conquête : elles s'allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur Mieux encore, New-York est qualifiée négativement, pour son manque de sensualité, et son incapacité inquiétante à perdre conscience : elle ne se pâmait pas Riches et pauvres La seconde opposition est celle qui distingue riches et pauvres. Le terme générique de miteux est argotique et figure le regard des démunis. La racine du mot mite annonce l'obsédante préoccupation des pages suivantes pour les parasites. [...]
[...] Conclusion En conclusion, l'originalité du texte vient donc du traitement inversé et burlesque de la conquête du Nouveau Monde. Sa beauté vient des images de la verticalité de New-York, de la toute-puissance du dieu Dollar ainsi que de la truculence du lexique populaire Mais ce traitement poétique n'exclut pas la charge critique, ainsi, le dérisoire grotesque de l'accusation d'anarchisme de ces galériens, incapables de vision politique. Ces procédés donnent toute sa force au texte et font l'originalité de l'écriture célinienne. [...]
[...] Ils ne veulent recevoir chez eux en somme que les curieux qui leur apportent du pognon, parce que tous les argents d'Europe, c'est des fils à Dollar J'aurais peut-être pu essayer, comme d'autres l'avait déjà réussi, de traverser le port à la nage et de me mettre à crier : Vive Dollar ! Vive Dollar ! C'est un truc. Y a bien des gens qui sont débarqués de cette façon-là et qui après ça on fait des fortunes. C'est pas sûr, ça se raconte seulement. Il en arrive dans les rêves des biens pires encore. Moi j'avais une autre combinaison en tête, en même temps que la fièvre Malgré notre situation de galérien Ici au sens de connus réputés Connotation érotique. [...]