Genre de convention par excellence, le théâtre éprouve périodiquement le besoin de se rapprocher davantage de la vie : les débats pour le moins passionnés qui opposèrent les tenants de l'esthétique baroque à leurs contemporains classiques, partisans du respect des règles, la controverse qui vit s?affronter les héritiers du classicisme et les romantiques ou encore les ferventes polémiques qui mirent aux prises les partisans du symbolisme et du naturalisme en témoignent. « Il faut injecter du sang frais à ce cadavre », déclare Zola, prenant acte de la crise du drame qui secoue la fin du XIXe siècle et va engendrer des mutations considérables dans l'art dramatique ; la question de la théâtralité se pose avec une grande acuité. Cette crise de la représentation rendrait une réforme nécessaire : de fait, on fustige volontiers l'appauvrissement de l'art dramatique, soulignant un besoin impérieux de renouveau. D'aucuns, à l'instar de Zola, chef de file du naturalisme, entendent réformer le théâtre, lui redonner du souffle en l'orientant vers « la vie ». Dans un tel contexte, la fondation par Antoine du Théâtre Libre, en 1887, relève presque du miracle : il permet de jouer des auteurs originaux, marchant volontiers hors des sentiers battus. Le tournant du siècle se caractérise ainsi par de nouveaux modes d'élaboration de l'art théâtral, et verrait ce qu'on a pu appeler « l'invention de la mise en scène » moderne, dont Antoine serait précisément l'initiateur français (cependant, la mise en scène moderne ne surgit pas ex nihilo, tant s'en faut : il faudra donc s'interroger sur les mutations qui motivent cette assertion). En 1903, Antoine est reconnu comme un véritable praticien du théâtre ; lecteur assidu de Zola et d'autres naturalistes, il a fait sienne leur théorie esthétique, en réclamant davantage de « vérité », prônant un théâtre soucieux de reproduire de plus en plus fidèlement ce qui lui semble être la réalité objective. Amoureux de théâtre, il appelle de ses voeux un théâtre vivant, libéré des archaïsmes classiques, et plaide pour une réforme d'ensemble du théâtre. (...)
[...] Sarrazac, le metteur en scène moderne est un artiste qui subordonne l'ordonnance matérielle du spectacle dont il a la charge à une lecture, à une interprétation personnelles de l'œuvre dramatique représente L'apport d'une vue d'ensemble est d'autant plus important qu'à l'époque, les comédiens ne répètent pas ou peu, ne sont pas dirigés ; il relie chaque scène au mouvement général de l'œuvre il lui faut créer le mouvement intégral sur scène, parvenir à rendre la complexité de la vie, l'influence du milieu. En ce sens, sa tâche est presque démiurgique : il s'agit de donner la vie c'est-à-dire de l'imiter au mieux . Pour ce faire, il faut purger de la scène les éléments non pertinents, non justifiés par l'œuvre et son contexte. [...]
[...] Après avoir mis en évidence les conditions qui président à ces aspirations de renouvellement dramaturgique ainsi que l'aspect proprement matériel de la mise en scène, il s'agira de se pencher plus avant sur l'appel à la transformation du jeu, de l'interprétation des œuvres. Enfin, nous prendrons quelque recul et verrons que la proclamation de la nécessité de l'avènement du metteur en scène moderne va de paire, chez Antoine, avec une réflexion sur les rapports de l'art et de la ‘réalité', qui constituera probablement l'un des points d'achoppement les plus fondamentaux de l'échec du naturalisme théâtral. [...]
[...] C'est la place excessive prise par l'aspect écrit sur la scène que semble critiquer Antoine. En somme, il rappelle que le théâtre, le drame conformément à son étymologie éloquente, doit être essentiellement jeu, action, mouvement ; là réside l'une des clés de ses propositions de renouvellement du théâtre français. Il épingle ce qui est potentiellement anti-dramatique, notamment l'aspect pour ainsi dire écrit, pour retrouver la vérité, la nature du genre contre un théâtre qui, pour reprendre une expression de Barthes, montre son masque du doigt : Il nous arrive des hommes et des femmes à qui l'on a enseigné qu'au théâtre il ne faut jamais, comme dans la vie, parler en marchant. [...]
[...] Le détail n'est plus mobilisé au au stade primitif de l'accumulation, mais dans un mouvement où il empoigne le spectateur à la fois émotionnellement et intellectuellement[3] Antoine insiste beaucoup sur ce point : Il faudrait, dans les décorations d'intérieur, ne pas craindre la profusion des petits objets, la diversité des menus accessoires afin de donner un aspect habité Selon lui, les moindres objets sont porteurs de sens et reflètent des comportements, des personnalités. Ce sont les imperceptibles choses qui font le sens intime, le caractère profond du milieu qu'on a voulu reconstituer ajoute encore Antoine. Dans ces conditions, le rôle de la mise devient prépondérant. [...]
[...] Jusqu'où le dramaturge doit-il pousser la fidélité au réel ? Quoi qu'il en soit, s'efforçant de montrer combien il s'avère nécessaire de lutter contre l'omniprésence des pratiques dramaturgiques traditionnelles, de rénover en profondeur le système dramatique, Antoine assigne au théâtre des objectifs mimétiques, des objectifs qui reflètent puissamment les conceptions idéologiques naturalistes, en posant la question des rapports entre art et réalité. Ainsi, dans ces quelques pages, Antoine souligne avec force combien la mise en scène naturaliste répond à une exigence d'authenticité, de vérité, en proposant un théâtre à visage humain, à hauteur d'homme. [...]
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