Le tumulte historique du Grand Siècle, fait d'intrigues et de complots, est propice à l'émergence d'un genre au confluent du récit historique et de l'autobiographie : Les Mémoires. Rédigée à l'âge de 70 ans et publiée en 1717, l'oeuvre du cardinal de Retz est à l'image de cette mode littéraire, qui tire toute sa substance des déboires « d'une existence agitée par tant d'aventures différentes ». Car s'il s'agit en apparence pour cet homme politique en pleine guerre civile de livrer un témoignage historique, Les Mémoires du Cardinal de Retz sont en réalité, plus qu'une fidèle narration, la reconstruction d'une vie et la tentative d'éclaircissement de ses écueils et de ses échecs. Cette entreprise personnelle se dédouble et s'oriente vers deux horizons : l'auteur et le lecteur. Le cardinal de Retz lègue ainsi à la postérité un témoignage intime, mais aussi une oeuvre séditieuse favorable à l'esprit de révolte, rédigée pour la pensée et pour l'action.
Face aux deux postulations d'un genre, tendu à la fois vers le discours et le récit, on peut s'interroger sur la conduite même de ce dernier au sein des Mémoires et particulièrement dans l'extrait de la page 162. Pour tenter de déterminer de quelle manière ce récit est pris en charge par le mémorialiste nous étudierons tout d'abord l'enchâssement du récit dans le discours, qui fait du mémoire un genre mixte racontant, et commentant le monde. Puis nous analyserons la construction de l'éthos du narrateur, une construction qui s'affirme dans l'esthétique de la conversation mais aussi dans le regard rétrospectif du mémorialiste et le discours didactique de l'historien. Enfin, nous commenterons la littéralité de l'extrait en considérant les Mémoires comme un récit de vie légué à la postérité.
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Dans leur définition, les mémoires sont présentés comme des oeuvres historiques et littéraires, ayant pour objet le récit qu'une personne fait de sa propre vie considérée comme révélatrice d'un moment de l'histoire. Cette définition est à mettre en perspective avec celle qu'a donnée Philippe Le Jeune de l'autobiographie : "récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité" (Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, p. 26). La frontière qui existe entre les mémoires et le genre autobiographique réside dans la dimension historique que possède le récit des mémorialistes. S'il convient de parler ici de récit, on peut cependant émettre quelques réserves (...)
[...] Ces inflexions vers des genres littéraires différents, alliant l'oralité de la conversation et la littéralité de la narration, doivent être perçues comme autant d'éclairages contrastés offerts sur une même vie. [...]
[...] Dans l'extrait ici présent, le récit s'entrelace au discours et on peut noter des lignes 5 à10 et 12 à 16 le passage à un récit marqué par le présent je puis je dois considéré comme un présent de narration qui introduit des faits datés : la nuit qui a précédé les barricades Si l'on note la présence de termes évaluatifs tels que ne mérite pas qui marquent la subjectivité du locuteur, on constate cependant que cette subjectivité n'exclut pas la possibilité de raconter le monde et non plus seulement de le commenter. Le narrateur, par ce passage subtil du discours au récit avertit ainsi le lecteur selon les mots de Weinrich qu'une autre écoute plus détachée est possible II. La construction de l'ethos du narrateur L'esthétique de la conversation La présence constante du je tendu exclusivement vers le vous présente cet extrait comme une conversation. [...]
[...] Ces marques prouvent que le Cardinal de Retz n'effectue pas un simple récit des faits. Il met, en effet, en scène ses propos en un entretien où le vous supposé du destinataire n'est autre que le lecteur. Cette mise en scène participe à la construction de l'ethos du narrateur, ainsi par exemple, la spontanéité apparente du discours va de pair avec la construction d'un éthos de sincérité. Le verbe assurer (l.5, l.13), la volonté de précision certain détail (l.3) attestent de la connivence établie avec le destinataire. [...]
[...] Dans le cas présent, le cardinal de Retz fut témoin et acteur, il nous livre donc une œuvre qui ne possède pas une simple vocation objective et historique. Il s'agit en effet pour le cardinal de Retz de prendre place au cœur de ces événements et de donner une image favorable de lui-même. Dans cet extrait, le cardinal est un témoin à part entière qui émet des jugements : je crois que l'on doit excuser les historiens qui ont pris le vraisemblable pour le vrai en ce fait (l.12). [...]
[...] Il apparaît en effet que les mémoires ne présentent pas de dissociation très nette entre discours et récit. Ainsi selon Benveniste il faut entendre ici le terme de discours dans sa plus large extension c'est-à-dire comme toute énonciation supposant un locuteur et un auditeur, et chez le premier l'intention d'influencer l'autre de quelque manière Dans cette définition Benveniste inclut la masse des écrits qui reproduisent des discours oraux ou qui en empruntent le tour et les fins : correspondance, mémoires, théâtre, ouvrages didactiques, bref tous les genres où quelqu'un s'adresse à quelqu'un, s'énonce comme locuteur et organise ce qu'il dit dans la catégorie de la personne.». [...]
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