Les Caractères, De la Bruyère, roi, berger, monarchie, morale, burlesque
Dans le chapitre X, « Du Souverain ou de la République », La Bruyère exprime son idéal politique, une monarchie non absolue qui repose sur un contrat entre le peuple et le roi, dépositaire de la loi. Dans les quatre premières remarques du chapitre, il a condamné la tyrannie. Puis, il s'est intéressé aux maux de l'État, aux ministres et aux favoris, à la solitude du pouvoir, à la « science des détails », à la guerre. À partir de la remarque 26, il se concentre sur la figure du roi : l'intérêt de l'État et celui du Prince doivent coïncider (26), le roi est le « père du peuple » (27), il y a un échange réciproque entre le souverain et ses sujets.
[...] Un tableau bucolique Le verbe « voir » (« Quand vous voyez »), en début de phrase, indique que le lecteur va se trouver devant un spectacle. UNE NATURE ANIMÉE Le cadre, riant, est celui d'une nature belle et généreuse, où la colline abonde en thym et en serpolet, où la prairie offre son herbe. On se trouve dans une sorte d'Arcadie . Réduits à des silhouettes, les personnages, quant à eux, sont les acteurs habituels des Bucoliques, comme chez Virgile : il s'agit d'un troupeau de brebis qui paît, d'un moissonneur et surtout d'un berger et de son chien. [...]
[...] Les Caractères, chapitre remarque 29 - La Bruyère (1688) - Quel type de berger doit être le bon roi ? « Quand vous voyez quelquefois un nombreux troupeau, qui répandu sur une colline vers le déclin d'un beau jour, paît tranquillement le thym et le serpolet, ou qui broute dans une prairie une herbe menue et tendre qui a échappé à la faux du moissonneur, le berger, soigneux et attentif, est debout auprès de ses brebis ; il ne les perd pas de vue, il les suit, il les conduit, il les change de pâturage ; si elles se dispersent, il les rassemble ; si un loup avide paraît, il lâche son chien, qui le met en fuite ; il les nourrit, il les défend ; l'aurore le trouve déjà en pleine campagne, d'où il ne se retire qu'avec le soleil : quels soins quelle vigilance quelle servitude Quelle condition vous paraît la plus délicieuse et la plus libre, ou du berger ou des brebis ? [...]
[...] Cette mission ne cesse qu'avec la fin du règne (« il ne se retire qu'avec le soleil »). Une critique du luxe royal L'hyperbate qui termine le paragraphe précédent suggérait subtilement une critique possible. Le second paragraphe la développe. En effet, l'image présentée maintenant surprend par son incongruité : « le berger habillé d'or et de pierreries ». Il s'agit d'un « oxymore vivant » dans la mesure où, traditionnellement, les pasteurs sont pauvres. Le bâton de berger (la « houlette ») est en bois : le couvrir d'or ne sert à rien. [...]
[...] CONCLUSION Avec cet apologue que l'on peut qualifier de « parabole laïcisée » (Louis Van Delft), La Bruyère expose la monarchie de ses rêves. Dans un pays prospère et calme, le roi protège son peuple, le rassemble face au danger, en exerçant une très grande vigilance. Mais le moraliste chrétien profite de ce tableau idyllique, présenté comme un modèle, pour avertir le roi, en l'occurrence Louis XIV. Il lui faut se dépouiller du « faste et luxe » et ne pas trop accorder aux courtisans. [...]
[...] Certes, on pourrait penser que, tout simplement, le narrateur pousse à l'extrême l'analogie et que le roi, figuré en berger, ne peut qu'être représenté avec ses attributs et avec sa cour. Mais ce serait oublier que La Bruyère est un moraliste chrétien qui appelle à l'humilité. D'origine biblique, l'image du berger ne saurait souffrir ce travestissement, étendu jusqu'au chien, qui est alors le courtisan, purement décoratif, et non l'armée. Comique rime avec critique. La question rhétorique qui termine la remarque 29 le confirme : « Que sert tant d'or à son troupeau ou contre les loups ? » La réponse va de soi : à rien. [...]
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