Les Caractères, Des Biens de Fortune, remarques 71 et 72 - La Bruyère (1688) - Le jeu, sinistre facteur de destruction

Thèmes abordés

De la Bruyère, remarque 71, remarque 72, caractères, sinistre, destruction, classe sociale, argument, coutume, procédé, figure de style, souffrance, Occident, jugement, pyramide sociale, jeu d'argent, ordre social

Résumé du document

Dans le chapitre VI de ses Caractères, Des Biens de Fortune, La Bruyère, en moraliste qui « peint d'après nature », de façon spirituelle, montre l'action néfaste de l'argent dans la société française de la fin du XVIIe siècle.
Avec les remarques précédentes (63-71), il a été question de l'héritage, qui pousse à désirer la mort d'autrui et dénature la qualité des relations. Les remarques 71 et 72 sont les deux premières d'une série relative au jeu (jusqu'à la remarque 75). Comme l'héritage, le jeu n'est en rien rattaché au mérite.
Ces deux remarques, l'une brève et l'autre longue ne prennent pas pour cible un caractère désigné par un nom, mais un groupe d'hommes, une partie de la société, les joueurs. Il faudra voir le rôle qu'ils occupent dans la comédie sociale et en quoi leur comportement mérite une analyse psychologique. Pour peindre ces portraits de groupes, La Bruyère utilise toutes les ressources de la langue classique.

Extraits

[...] » La longue phrase qui compose la remarque se caractérise, au début, par un rythme croissant : « Une tenue d'états ou les chambres assemblées pour une affaire très capitale n'offrent point aux yeux rien de si grave et de si sérieux ». Elle contient une comparaison avec la politique (« tenue d'états » [c'est-à-dire une session des trois états qui composent le pays] ; « chambres assemblées ». Ce domaine est le lieu du sérieux : on y traite d'une « affaire très capitale » , l'adverbe d'intensité « très » est superflu devant l'adjectif qualificatif qui se suffit à lui-même, il produit un effet comique. On est proche de la redondance. [...]

[...] Le complément d'objet interne, « jouent un grand jeu » permet d'insister sur le jeu, présenté comme important (« grand »). La surprise est renforcée par l'insistance, à la limite de la redondance, une fois encore : « une triste sévérité règne sur leurs visages ». La « sévérité » implique un air de tristesse. Cette ébauche de portrait physique (éthopée) correspond à un « gros plan » qui traduit la concentration et l'absence d'amusement, paradoxale donc. On passe du général au particulier : « prenez des lunettes dit Esculape » (« De l'Homme », XI, 35). [...]

[...] Et, pour finir, il utilise à nouveau l'ouïe (« paroles ») qui se trouve agressée, comme l'indiquent les deux verbes qui indiquent une gradation (« jurer », « offenser ») pour aboutir à un résultat physique, l'ébranlement du corps (« frémir »). Horrescit referens Il frémit en racontant la scène. Avec ces comparaisons, on est en présence d'une accumulation, un des procédés favoris de La Bruyère. Le « renversement de toutes les bienséances » résume (« en un mot ») la pensée de La Bruyère. Le rapprochement des classes sociales que permet le jeu est inconvenant. Les normes de la société ne sont plus respectées. [...]

[...] De ce point de vue, on peut comparer ce début de texte à la remarque 49 dans « De la Société et de la Conversation » : « J'approche d'une petite ville, et je suis déjà sur une hauteur d'où je la découvre. Elle est située à mi-côte ; une rivière baigne ses murs, et coule ensuite dans une belle prairie ; elle a une forêt épaisse qui la couvre des vents froids et de l'aquilon. Je la vois dans un jour si favorable, que je compte ses tours et ses clochers ; elle me paraît peinte sur le penchant de la colline. [...]

[...] Les Caractères, Des Biens de Fortune, remarques 71 et 72 - La Bruyère (1688) - Le jeu, sinistre facteur de destruction Dans le chapitre VI de ses Caractères, Des Biens de Fortune, La Bruyère, en moraliste qui « peint d'après nature », de façon spirituelle, montre l'action néfaste de l'argent dans la société française de la fin du XVII[e] siècle. Avec les remarques précédentes il a été question de l'héritage, qui pousse à désirer la mort d'autrui et dénature la qualité des relations. [...]