La peste a desserré son étau avec l'hiver et Tarrou en est l'une des dernières victimes. Début février, les portes de la ville se rouvrent : c'est la libération, marquée par des scènes d'allégresse. Rieux, qui a appris la mort de sa femme, révèle qu'il est l'auteur de la chronique, écrite pour témoigner de ce qui a eu lieu. Alors qu'il rend visite au vieil asthmatique, il retourne sur la terrasse où il avait reçu la confidence de Tarrou. De là-haut, il perçoit les explosions de joie de la ville et tire les leçons de l'expérience qu'il vient de vivre.
1/ Une méditation poétique
Dans les dernières lignes, Rieux se trouve sur la terrasse du vieil asthmatique : il s'agit d'un lieu à l'écart de la foule, en hauteur, d'où il peut contempler l'allégresse qui se manifeste au loin. C'est donc un lieu propice à la réflexion, d'autant plus qu'il lui rappelle la seule soirée de paix pendant l'épidémie, à savoir sa conversation avec Tarrou. La scène se déroule aussi le soir, moment qui porte au recueillement.
Rieux apparaît ainsi en retrait, à cause du deuil qui est le sien, mais aussi parce qu'il préfère se livrer à ses pensées plutôt que de participer aux réjouissances. Le texte oppose de façon systématique son individualité ("il", "le docteur Rieux") à un ensemble anonyme ("la ville", "cette foule"). Dans ces conditions, le personnage fait figure de penseur, de sage, qui adopte le recul nécessaire pour réfléchir à ce qu'il vient de vivre. C'est aussi, bien sûr, la figure de l'écrivain qu'incarne Rieux puisqu'il décide à ce moment-là de commencer son récit. Pour autant, cette position de surplomb et de distance est dénuée de condescendance : le médecin veut comprendre ses semblables et ne s'exclut pas de leur communauté (...)
[...] Par exemple, il évoque Cottard et Tarrou puis use du terme générique les hommes ; plus loin, on observe un processus semblable entre ces pestiférés et les hommes Il reprend aussi la formule assez banale du vieil asthmatique les hommes étaient toujours les mêmes pour lui donner une profondeur qui l'élève au rang de la maxime. La réflexion devient ainsi théorique. Par ailleurs, certains termes dénotent le caractère didactique de son propos : ce qu'on apprend . l'enseignement des hommes et la répétition de il savait Rieux élabore une éthique et le livre qu'il s'apprête à écrire a bien une vocation morale. Rieux exprime sa foi en l'homme. [...]
[...] C'est le sens qu'il faut donner à la figure du médecin, positive en ce qu'elle incarne une forme de résistance. Le docteur le dit plus clairement dans l'une de ses premières conversations avec Tarrou : pour le moment il y a des malades et il faut les guérir [ . Je les défends comme je peux, voilà tout Il ne s'agit donc pas de mettre en avant un quelconque héroïsme chez l'homme mais de reconnaître à leur juste valeur ceux qui ne se résignent pas refusant d'admettre les fléaux Sont annoncées ici certaines idées qui nourriront l'essai L'Homme révolté et qui commence par ces mots : Qu'est-ce qu'un homme révolté ? [...]
[...] Le bacille de la peste est personnifié en une espèce de monstre sournois, tapi dans les habitations : on note le rétrécissement de l'espace, des chambres aux mouchoirs comme si rien ne pouvait lui échapper. Il représente une malédiction qui pèse sur la condition humaine : le retour périodique de fléaux qui, telle une fatalité, condamne l'homme à la lutte incessante et au malheur. On observe d'ailleurs la vision finale du réveil des rats qui, en un effet de boucle, renvoie au début du roman : le narrateur indique bien que la victoire n'est que provisoire et qu'il faut être prêt à tout recommencer. [...]
[...] La scène se déroule aussi le soir, moment qui porte au recueillement. Rieux apparaît ainsi en retrait, à cause du deuil qui est le sien, mais aussi parce qu'il préfère se livrer à ses pensées plutôt que de participer aux réjouissances. Le texte oppose de façon systématique son individualité il le docteur Rieux à un ensemble anonyme la ville cette foule Dans ces conditions, le personnage fait figure de penseur, de sage, qui adopte le recul nécessaire pour réfléchir à ce qu'il vient de vivre. [...]
[...] On trouve ainsi deux phrases particulièrement longue. La première épouse un rythme très travaillé avec trois propositions à valeur circonstancielle suivies, après la principale, de quatre propositions qui scandent le mot pour Ce rythme croissant traduit l'élan qui anime le personnage déterminé à témoigner pour ses semblables. La deuxième phrase, qui procède elle aussi par amplification, offre en outre plusieurs images : énumérations, personnification de la peste, métaphore du sommeil, jeu final d'antithèses réveillerait» / mourir» et mourir» / cité heureuse L'écriture de cette fin de roman est alors proche de la prose poétique. [...]
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