Introduction
« Il faut imaginer Sisyphe heureux » : cette phrase, devenue célèbre, constitue la clausule de l'essai Le mythe de Sisyphe, publié par CAMUS en 1942, en même temps que son roman L'étranger. L'extrait que nous avons à étudier regroupe, en effet, les toutes dernières pages de cet essai qui pratique une lecture renouvelée du mythe grec.
Comment la légende de Sisyphe nous parle-t-elle encore aujourd'hui ? Quels liens établir entre le vieux mythe et l'absurde moderne ? Que faire si le monde n'a pas de sens ? En quoi l'écriture de Camus rend-elle compte de la création absurde ?
Pour tenter d'apporter des réponses à ces questions, nous examinerons d'abord le raisonnement développé par l'auteur, avant d'en voir l'illustration dans le portrait que Camus fait de Sisyphe, pour terminer sur le mode d'écriture propre à la création absurde.
1er axe) Le raisonnement absurde :
Sous-titré « Essai sur l'absurde », « Le mythe de Sisyphe » est un texte à vocation argumentative. Il expose un raisonnement basé sur la prise de conscience de l'absurdité du monde. La révolte répond à cette absurdité et donne accès à un état de sérénité.
1ère idée directrice) Prise de conscience de l'absurdité du monde :
L'auteur veut nous faire partager sa découverte : le monde est déraisonnable. Pour gagner le paradis, il faudrait souffrir des « douleurs inutiles » l.25 : il n'est pas logique de considérer la souffrance comme une voie d'accès au bonheur. Le monde n'a pas de sens en lui-même : « univers rendu à son silence » l.29 ; il est « farouche » l.23, c'est-à-dire non familier, incompréhensible. La vie humaine est dépourvue de cohérence : c'est une « suite d'actions sans lien » l.35. Elle n'a pas de valeur : « misérable condition » l.2. L'univers est contradictoire dans la mesure où « le sentiment absurde [peut naître] du bonheur », mais également dérisoire puisque les choses sont réversibles et peuvent se voir indifféremment dans les deux sens comme le montre le chiasme des lignes 21 et 22 : « le bonheur naît forcément de la découverte absurde » // « le sentiment de l'absurde naisse du bonheur ». (...)
[...] Ainsi, persuadé de l'origine tout humaine de tout ce qui est humain, aveugle qui désire voir et qui sait que la nuit n'a pas de fin, il est toujours en marche. Le rocher roule encore. Je laisse Sisyphe au bas de la montagne ! On retrouve toujours son fardeau. Mais Sisyphe enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux et soulève les rochers. Lui aussi juge que tout est bien. Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile ni futile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul forme un monde. [...]
[...] Le héros absurde, en effet, est un homme qui choisit la terre : les images de la terre l.7, sa descente l.2-5, bas de la montagne l.40, mille voix de la terre l30, y compris dans ses références culturelles. La métaphore des nuits de Gethsémani l.10 fait allusion à la passion de Jésus, à l'angoisse que ce dernier a ressentie, la veille de sa mort, dans le jardin de Gethsémani près de Jérusalem, angoisse accrue par les sonorités nasales et les voyelles aiguës Plutôt que la vision d'un Dieu-homme, Camus privilégie l'image d'un homme-dieu. [...]
[...] Mais elle n'a pas le même sens que dans la bouche de Pangloss dans Candide de Voltaire. L'état de bien-être spirituel est dû, non seulement à la victoire en elle-même, mais aussi à la manière dont celle-ci est obtenue : les moyens comptent autant que les fins. La victoire est affirmée tout au long du texte : périssent l.10, une parole démesurée retentit l.14, la formule de la victoire l.16, elle chasse de ce monde l.24, fait taire toutes les idoles l.28, le prix de la victoire l.31, il se sait le maître l.34. [...]
[...] La conséquence de son désarroi rend l'homme tragique, mais non pas morose. La révolte absurde conduit à l'action, laquelle est soulignée à la fois par les nombreux verbes d'action revenant l.6-35, retentit l.14-23, donne la formule l.16, enseigne l.23-41, chasse l.24, elle fait l.25, dit oui l.32, désire voir l.38, roule l.38, forme l.44) et par les compléments d'agent surmonte par le mépris l.4, créé par lui l.36, scellé par sa mort l.37). L'aspect dynamique est encore illustré par le choix du genre : un terme féminin, passif, destinée l.33, pour ce qui est subi ; un terme masculin, destin répété six fois l.3-11-25-27-32-36, pour ce qui est maîtrisé, créé. [...]
[...] Le choix du substantif formule reconnaît à ce maître un pouvoir, non seulement linguistique (la formule est une parole), mais paradoxalement, magique et scientifique. L'hyperbole une parole démesurée retentit alors l.14 lui donne une dimension surhumaine qui l'égale à la divinité : sa parole est sacrée l.22, autrement dit il prononce des oracles. Le héros absurde arbitre entre le bien et le mal ; il qualifie misérable l.2, méprisable l.34, mépris l .4) et émet des jugements de valeur me font juger l.15, je juge l.22, il juge l.33, lui aussi juge l.41). [...]
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