Introduction :
« Voici venir les temps ...» : la lettre de Camus commence exactement comme le poème de Baudelaire intitulé « Harmonie du soir ». Echo insolite dans un texte daté de juillet 1944 et adressé à un ennemi. Mais, en même temps, pour les initiés, inscription dans une histoire française des mots et des idées, et choix d'une tonalité prophétique adaptée à cette période troublée.
Le passage que nous avons à étudier constitue, en effet, le début de la quatrième et dernière des Lettres à un ami allemand. L'auteur a publié ses deux premières lettres dans des revues clandestines en 1943 et début 1944. En raison des circonstances, les deux dernières, écrites respectivement en avril et juillet 1944, sont restées inédites pendant la guerre. Que dire dans ces années d'inquiétude ? A qui parler ? Sous quelle forme faire passer son message pour le rendre efficace ? Comment préparer la victoire ? Et surtout quel sens lui donner ? Ensemble de questions qui taraudaient bon nombre d'intellectuels, et notamment ceux, tels que Camus, engagés dans la résistance.
Nous verrons donc de quelle manière l'auteur a fait, de ses lettres, une forme argumentative originale ; puis nous prendrons la mesure du combat engagé, avant d'en approcher le sens.
1er axe) La lettre personnalisée, une forme originale pour un texte argumentatif :
De la lettre, cet extrait a beaucoup de caractéristiques. Ce qui lui permet de suggérer une certaine intimité, favorisant l'expression de l'engagement personnel de l'auteur.
1ère idée) Ce document possède les principales caractéristiques d'une lettre :
-l'indication de la nature du document « je vous écris » en anaphore l.1 et 4 ; à la fin de la lettre, on en retrouve la résonance dans « je vous le crie » l.51.
-un émetteur qui dit « je » dès la ligne 1, « moi » l.27-36, qui est connu, qui « signe » son texte ; (...)
[...] ce sens est, en même temps, de nature morale : c'est aussi une victoire contre soi-même l'idée qu'on se fait de la vie l.50. 3ème idée) ce combat est légitime parce qu'il défend des valeurs essentielles : il fait appel à la raison : pas de mépris de l'intelligence, ne pas céder à l'instinct, aux lois du monde animal valeurs qui régissent le monde animal l.19 ; ne pas céder au seul culte de l'efficacité l'aventure de la puissance l26, une ivresse l.34 ; ne pas renoncer, y compris à penser vous avez abandonné la lucidité l.40, vous étiez las vous vous êtes reposés l.41-42. [...]
[...] Il se trouve même dissimulé dans l'ancien adverbe de quantité guère l.27 homophone de guerre. Les répétitions de termes agressifs se multiplient dans la deuxième partie de notre extrait, marquant l'âpreté croissante de la lutte, à la fois physique et idéologique : violence l.24, goût violent l.28, détruire l.35 et 43, lutter l.36, entrer en lutte l.38, lutter contre l.42, en lutte l.53, mutiler l.43-51. cette bataille est illustrée par de multiples oppositions frontales qui lui confèrent un caractère binaire, tranchant, et la transforment en duel : -des antithèses : douceur/violence nuits d'été légères et lourdes nuit / aube l.9-10, promesses / menaces l.20, le bien et le mal l.22, raisonné / passions l.29, bonheur / malheur l.33, justice / injustice l.33. [...]
[...] Pour incarner cette idée de l'homme, l'auteur substitue progressivement, dans sa lettre, l'homme concret, d'une part au principe abstrait l.39, d'autre part à l'indéfini quelque chose exprimé l.5 et 46. Conclusion : En choisissant le genre épistolaire pour exprimer ses idées et défendre les valeurs auxquelles il croit, Camus s'inscrit dans la lignée des Lettres persanes de Montesquieu et des Lettres philosophiques de Voltaire. [...]
[...] Car c'est d'abord un affrontement idéologique, un combat de valeurs. 3ème axe) ce combat est d'abord un combat de valeurs : Si Camus s'engage physiquement dans la résistance, il sait aussi que la victoire militaire repose d'abord sur une claire vision du but poursuivi et donc des raisons de se battre. Après avoir précisé la nature et les modalités de cette victoire, l'écrivain définit les valeurs qui serviront de base à la reconstruction matérielle et spirituelle. 1ère idée) la victoire sera d'abord intellectuelle : c'est le triomphe des idées qui prépare la victoire militaire. [...]
[...] Mais elle n'est pas destinée à être envoyée comme un courrier postal : ce n'est pas une correspondance privée. Ce document a été écrit pour être publié dans la Revue libre. La lettre ne possède donc pas d'adresse individualisée. Elle s'adresse aux millions d'Allemands l.41. 2ème idée) Le choix du genre épistolaire met l'accent sur la proximité, l'intimité, l'incarnation dans des personnes : -le terme ami est en facteur commun dans le titre du recueil Lettres à un ami allemand -notre extrait contient de nombreuses expressions de rapprochement, voire d'identité : nous ayons été si semblables l12, j'aurais pu être à vos côtés l.13, nous avons cru ensemble l.14, penser comme vous l.27, d'un même principe l.39 ; -un vocabulaire affectif je pense à vous l.11, au cœur (de ceux) l.10, au cœur (de cette nuit) l.19, redondance du pronom personnel de la première personne moi, je l.27-36, de tout moi-même l.51 -cet écrit adopte le ton familier de la conversation : j'ai encore une chose à vous dire l.11, je veux vous dire l.11, vous le voyez l.39, pour tout dire l.43 votre sourire et votre dédain me diront l.50 ; une conversation amicale qui semble ininterrompue dont vous me parliez alors l.16 et qui fait écho aux trois premières lettres de l'auteur. [...]
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