Cet extrait clôture le roman. En janvier, après neuf mois de lutte incessante contre la peste, les médecins constatent enfin un net recul de l'épidémie. Le narrateur, jusqu'alors volontairement anonyme afin de préserver le lecteur de toute influence, se nomme enfin : c'est le docteur Rieux, le personnage principal du récit. Il consacre alors les dernières pages de sa chronique à la délivrance d'Oran. Par une belle matinée de février, les portes de la ville s'ouvrent enfin au monde extérieur dont les habitants étaient séparés. La joie éclate ainsi dans toute la ville et les réjouissances s'organisent. La nuit venue, le docteur Rieux monte sur la terrasse qui surplombe Oran. De ce point de vue privilégié, il assiste de loin à l'exubérante allégresse de la ville libérée du fléau de la peste.
I- Une ville joyeuse, allégorie de l'humanité
a- Le thème de la fête
De sa terrasse, le docteur Rieux contemple Oran qui célèbre l'ouverture de ses portes par un feu d'artifice. Le récit offre alors le tableau nocturne d'une ville festive, souligné par :
- un jeu d'ombres et de lumières : Du port obscur montèrent les premières fusées des réjouissances officielles (ligne 1), à mesure que les gerbes multicolores s'élevaient plus nombreuses dans le ciel (lignes 7-8)
- les bruits qui parviennent au médecin : Au milieu des cris qui redoublaient de force et de durée (lignes 5-6), les cris d'allégresse qui montaient de la ville (ligne 18). Étouffées, voire déformées (La ville les salua par une longue et sourde exclamation, ligne 2 ; qui se répercutaient longuement jusqu'au pied de la terrasse, lignes 6-7), ces perceptions auditives seules témoignent de la présence des habitants dont l'attitude est précisée par le champ lexical de la joie (réjouissances, ligne 1 ; cris d'allégresse, ligne 18 ; cette allégresse, ligne 19 ; cette foule en joie, ligne 20 ; une cité heureuse, ligne 25).
Les habitants fêtent ainsi leur délivrance de la peste, mais surtout la fin de leur isolement. (...)
[...] En effet, chacun abrite en lui le bacille de la peste, symbole de cette maladie morale qui s'appelle indifférence ou égoïsme. Il est donc nécessaire de demeurer vigilant comme le suggère la conclusion ouverte de la chronique : le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu'il peut rester pendant des dizaines d'années endormi dans les meubles et le linge, qu'il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l'enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse (lignes 20 à 25). [...]
[...] II- La méditation de Rieux Un devoir de mémoire et un témoignage de solidarité Le chroniqueur Bernard Rieux insiste ici sur la valeur de témoignage de son récit, notamment avec une énumération marquée par la reprise anaphorique de la préposition pour (pour ne pas être de ceux qui se taisent, pour témoigner en faveur de ces pestiférés, pour laisser du moins un souvenir de l'injustice et de la violence qui leur avaient été faites, et pour dire simplement ce qu'on apprend au milieu des fléaux, lignes 9 à 11) et Elle ne pouvait être que le témoignage (ligne 14). Connaissant la faculté d'oubli de ses compatriotes, faiblesse qui les lui rend plus fraternels (Mais c'était leur force et leur innocence et c'est ici que, par-dessus toute douleur, Rieux sentait qu'il les rejoignait, lignes il écrit donc pour rappeler les souffrances passées et conserver une trace de leur existence. C'est donc de cette nature humaine paradoxale que Rieux est solidaire. [...]
[...] Bien qu'apparenté à l'existentialisme, Camus s'en est assez nettement séparé pour attacher son nom à une doctrine personnelle, la philosophie de l'Absurde, dont il définit les grandes lignes dans son Mythe de Sisyphe, en 1942. Elle parcourt toute son œuvre et sa pensée, jusque dans les réflexions de La Peste. Cet extrait clôture le roman. En janvier, après neuf mois de lutte incessante contre la peste, les médecins constatent enfin un net recul de l'épidémie. Le narrateur, jusqu'alors volontairement anonyme afin de préserver le lecteur de toute influence, se nomme enfin : c'est le docteur Rieux, le personnage principal du récit. [...]
[...] Publié en 1947, La Peste est un roman qui lui permet de remporter le prix Nobel de littérature en 1957. Il est bâti comme une tragédie en cinq actes, cinq grandes unités narratives qui se prêtent elles- mêmes à un découpage qui suit la progression dramatique de la maladie. Une brève ouverture situe l'action en avril dans les années 40, à Oran durant la période de l'Algérie française, une ville laide, sans âme, une cité moderne et ordinaire La peste, terrifiante et absurde épidémie venue de nulle part, plonge la ville dans la douleur et oblige les habitants à l'exil ou à la claustration. [...]
[...] Ainsi, médecin solidaire de la misère et de la joie des hommes, Rieux leur donne la parole sans les juger. En effet, la technique narrative de la chronique tend vers un témoignage objectif sur les faits rapportés et permet au narrateur d'exprimer la douleur des hommes (et non son point de vue sur l'épidémie). Le dessein du narrateur est donc finalement de ne pas être de ceux qui se taisent, de témoigner en faveur de ces pestiférés et de laisser du moins un souvenir de l'injustice et de la violence qui leur avaient été faites (lignes 9-10). [...]
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