a- Un hasard dramatique
Le retour de Meursault aux abords de la source est présenté comme une banale promenade, uniquement dictée par la chaleur (juste avant cet extrait, on relève en effet : "Mais la chaleur était telle qu'il m'était pénible aussi de rester immobile sous la pluie aveuglante qui tombait du ciel... Au bout d'un moment, je suis retourné vers la plage et je me suis mis à marcher."). Le paysage renvoie à une scène antérieure qui n'a pas abouti au drame : "Pour moi, c'était une histoire finie" (ligne 8). Le héros se trouve alors seul face à l'Arabe qui devient donc son adversaire, d'autant que la surprise n'est pas de le croiser ("J'ai été un peu surpris", lignes 7-8) mais de le découvrir à l'endroit de fraîcheur convoité par Meursault ("j'étais venu là sans y penser", ligne 8), dans une position d'abandon dont rêve le narrateur lui-même : "Il reposait sur le dos, les mains sous la nuque, le front dans les ombres du rocher, tout le corps au soleil" (lignes 6-7).
Mais la progression dramatique de ce hasard va suivre celle de Meursault. Ainsi, à une évaluation immobile et plutôt précise ("J'étais assez loin de lui, à une dizaine de mètres", lignes 11-12), succède d'abord une avancée sans conséquences ("J'ai fait quelques pas vers la source. L'Arabe n'a pas bougé. Malgré tout, il était encore assez loin", lignes 20-21). L'estimation est ici très approximative, justifiant l'immobilité de l'Arabe. Mais une troisième précision, soulignée avec insistance et étirée dans le temps, donne aux deux précédentes leur caractère suspensif et dramatique : "À cause de cette brûlure que je ne pouvais plus supporter, j'ai fait un mouvement en avant. Je savais que c'était stupide, que je ne me débarrasserais pas du soleil en me déplaçant d'un pas. Mais j'ai fait un pas, un seul pas en avant" (lignes 25 à 28) (...)
[...] La lumière a giclé sur l'acier et c'était comme 30 une longue lame étincelante qui m'atteignait au front. Au même instant, la sueur amassée dans mes sourcils a coulé d'un coup sur les paupières et les a recouvertes d'un voile tiède et épais. Mes yeux étaient aveuglés derrière ce rideau de larmes et de sel. Je ne sentais plus que les cymbales du soleil sur mon front et, indistinctement, le glaive éclatant jailli du couteau toujours en face de moi. [...]
[...] Enfin, les détonations du revolver sont comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur (lignes 42-43). Conclusion Dans cet extrait, Meursault sort de l'absurde par un acte tragique. Centré sur le thème du meurtre, le passage demeure dans une ambiguïté où le hasard joue autant que la fatalité. L'étrangeté vient alors d'une neutralisation de la volonté et d'un concours de circonstances, s'appuyant sur un ensemble cohérent d'images symboliques qui répond à une simplicité syntaxique toujours recherchée. [...]
[...] Dans cet extrait qui conclut le dernier chapitre de la première partie de L'Étranger, Meursault est retourné seul sur la plage où peu de temps avant avait éclaté cette altercation. Avec le revolver encore en poche, il croise sans le vouloir un des deux Arabes. Rendant compte de l'irréparable qui conduira le héros à l'échafaud, toute la scène se présente comme un concours de circonstances où le hasard joue un rôle déterminant, même si, en même temps, un certain nombre d'éléments insistent sur la fatalité de cette rencontre. [...]
[...] J'étais assez loin de lui, à une dizaine de mètres. Je devinais son regard par instants, entre ses paupières mi- closes. Mais le plus souvent, son image dansait devant mes yeux, dans l'air enflammé. Le bruit des vagues était encore plus paresseux, plus étale qu'à midi. C'était le même 15 soleil, la même lumière sur le même sable qui se prolongeait ici. Il y avait déjà deux heures que la journée n'avançait plus, deux heures qu'elle avait jeté l'ancre dans un océan de métal bouillant. [...]
[...] III- Une scène symbolique Un assassin immature Tout dans cet extrait suggère l'immaturité de Meursault : - tout d'abord, la confrontation avec l'Arabe fait penser à celle de deux élèves dans une cour de récréation. Elle ne se fait pas de façon franche mais ludique, sans paroles ni menaces : Dès qu'il m'a vu, il s'est soulevé un peu et a mis la main dans sa poche. Moi, naturellement, j'ai serré le revolver de Raymond dans mon veston (lignes 9-10) - de même, la transformation de la lame du couteau, métamorphose puérile, se perçoit nettement : La lumière a giclé sur l'acier et c'était comme une longue lame étincelante qui m'atteignait au front (lignes 29-30) - en outre, la possession d'une arme le place en position de dominant et lui procure des sensations parfaites, assimilant la crosse à un ventre, non maternel mais engendrant la mort : j'ai touché le ventre poli de la crosse (ligne 38) - enfin, en évoquant l'enterrement récent, il désigne sa mère par un mot affectueux sans doute habituel mais qui marque, dans le contexte, son absence totale de maturité : C'était le même soleil que le jour où j'avais enterré maman (lignes 23-24). [...]
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