a- Des faits réels
Le procureur va démarrer son réquisitoire en clamant l'appui de ses allégations par la vérité ("J'en ferai la preuve, messieurs, et je la ferai doublement", lignes 2-3). Il fait ainsi une sélection de faits isolés de leur contexte, certes bien réels mais jouant sur la marginalité des actes de Meursault, dans le seul but de choquer le jury : "Il a résumé les faits à partir de la mort de maman. Il a rappelé mon insensibilité, l'ignorance où j'étais de l'âge de maman, mon bain du lendemain, avec une femme, le cinéma, Fernandel et enfin la rentrée avec Marie" (lignes 5 à 7).
b- Une interprétation tendancieuse
D'abord, il argue de l'instabilité de l'accusé en l'associant au fait qu'il ne se rappelle plus de l'âge de sa mère, associant les termes insensibilité et ignorance, alors qu'il n'y a aucun rapport.
Ensuite, il interprète les actes de Meursault, et notamment l'écriture de la lettre ("J'avais écrit la lettre d'accord avec Raymond pour attirer sa maîtresse et la livrer aux mauvais traitements d'un homme "de moralité douteuse". J'avais provoqué sur la plage les adversaires de Raymond. Celui-ci avait été blessé." ..., lignes 9 à 13), comme étant des preuves de préméditation ("Car il ne s'agit pas d'un assassinat ordinaire, d'un acte irréfléchi que vous pourriez atténué par les circonstances", lignes 19-20).
Enfin, pas une seule fois, il ne parlera de l'arme que la victime avait en main ou du contentieux qui existait entre le groupe d'Arabes et Raymond.
Le pire de cette interprétation, c'est que l'accusé lui-même reconnaît, sans s'en émouvoir ni se rebeller, qu'elle est plausible : "J'ai trouvé que sa façon de voir les événements ne manquait pas de clarté. Ce qu'il disait était plausible" (lignes 9-10). Personnage emblématique de la philosophie de l'Absurde, il ne triche pas avec la vérité, non qu'il manifeste un quelconque orgueil, mais il accepte simplement les choses telles qu'elles sont et ne voit pas l'intérêt de mentir, même pour sauver sa vie (...)
[...] J'avais écrit la lettre d'accord avec Raymond pour attirer sa maîtresse et la livrer aux mauvais traitements d'un homme de moralité douteuse J'avais provoqué sur la plage les adversaires de Raymond. Celui-ci avait été blessé. Je lui avais demandé son revolver. J'étais revenu seul pour m'en servir. J'avais abattu l'Arabe comme je le projetais J'avais attendu. Et pour être sûr que la besogne était bien faite j'avais tiré encore quatre balles, posément, à coup sûr, d'une façon réfléchie en quelque sorte. Et voilà, messieurs, a dit l'avocat général. J'ai retracé devant vous le fil d'événements qui a conduit cet homme à tuer en pleine connaissance de cause. [...]
[...] Ce qu'il disait était plausible (lignes 9-10). Personnage emblématique de la philosophie de l'Absurde, il ne triche pas avec la vérité, non qu'il manifeste un quelconque orgueil, mais il accepte simplement les choses telles qu'elles sont et ne voit pas l'intérêt de mentir, même pour sauver sa vie. Alors que son crime est le fruit d'un tragique concours de circonstances, Meursault est ainsi pris au piège de l'interprétation de l'institution judiciaire, dont le seul but semble être sa condamnation à mort et non l'application de la justice pour une simple affaire criminelle. [...]
[...] Il osait espérer que la justice des hommes punirait sans faiblesse. Mais, il ne craignait pas de le dire, l'horreur que lui inspirait ce crime le cédait presque à celle qu'il ressentait devant mon insensibilité. Toujours selon lui, un homme qui tuait moralement 55 sa mère se retranchait de la société des hommes au même titre que celui qui portait une main meurtrière sur l'auteur de ses jours. Dans tous les cas, le premier préparait les actes du second, il les annonçait en quelque sorte et il les légitimait. [...]
[...] Je n'avais pas le droit de me montrer affectueux, d'avoir de la bonne volonté, lignes 32 à 36) de l'accusé. II- Une critique implicite de la justice Un déni de justice - Le réquisitoire À travers un réquisitoire tendancieux mis en valeur par de grandes envolées hyperboliques (un gouffre où la société peut succomber, ligne Camus dénonce le fonctionnement de la justice qui apparaît alors plus soucieuse de garantir l'ordre social que de rendre une décision équitable. Dans ce sens, la vacuité de certains arguments interpelle, comme l'absence de remords (A-t-il seulement exprimé des regrets ? [...]
[...] Je n'avais pas le droit de me montrer affectueux, d'avoir de la bonne volonté. Et j'ai essayé d'écouter encore parce que le procureur s'est mis à parler de mon âme. Il disait qu'il s'était penché sur elle et qu'il n'avait rien trouvé, messieurs les jurés. Il disait qu'à la vérité, je n'en avais point, d'âme, et que rien d'humain, et pas un des 40 principes moraux qui gardent le cœur des hommes ne m'était accessible. Sans doute, ajoutait-il, nous ne saurions le lui reprocher. [...]
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