De la brièveté de la vie, de Sénèque

Résumé du document

Dans son traité De la Brièveté de la vie, Sénèque expose une conception linéaire du temps présenté comme une ligne continue qui, du passé, avance dans le futur. Il est divisé en trois époques : le passé est le domaine de l'irréversible, au-dessus de tous les hasards humains, et le futur celui de l'incertain, perspective de notre mort. A partie de là, le présent est le bref temps de liberté de l'homme. Il s'agit pour le sage de concentrer son action dans le présent, c'est-à-dire d'optimiser le temps qui lui est accordé chaque jour, et cette action sera l'étude de matières visant à élever l'âme pour entrer en dialogue avec le passé. Tout cela a pour but de constituer un art de vivre doublé d'un apprentissage de la mort.
La tension entre ces deux aspects est l'enjeu du traité qui cherche à répondre aux récriminations des hommes contre la nature cruelle qui les a placés sur terre pour une durée trop brève qui ne leur permet pas d'aller jusqu'au bout de leurs projets. A cette plainte, Sénèque répond que la vie est suffisamment longue mais que nous la perdons en de vaines occupations.

Extraits

[...] L'otium dont Sénèque fait l'apologie est une tension entre la concentration de l'action sur le présent et la préparation de l'« avenir pouvant survenir à n'importe quel moment, de la mort, par un dialogue avec le passé. En quoi êtes-vous personnellement sensible (ou insensible) à la leçon de Sénèque ? L'idée d'un dialogue universel et intemporel entre nous et les grands esprits qui nous ont précédés par l'intermédiaire de l'étude de l'histoire et de leur pensée m'apparaît particulièrement juste. En effet, le savoir que nous possédons à l'heure actuelle n'est que l'aboutissement des recherches précédentes, le résultat d'expérimentations qui continuent encore. [...]

[...] L'homme atteint l'immortalité par son dialogue avec le passé, mais ne rajoutera pas un jour à sa vie, la justification de son attitude durant sa vie ne peut se trouver que dans une impulsion chez lui qui le pousse à faire le bien et qui le fait penser que tout homme doit agir ainsi. Mais cette impulsion, elle, ne peut trouver d'origine universelle et éternelle en dehors d'un principe créateur qui déposerait ce désir en lui dès le début et reconnaîtrait sa vie vertueuse à la fin de ses jours (ce qui n'inclut pas nécessairement une croyance en une vie après la mort). [...]

[...] Comme il est invisible, nous n'en connaissons pas la fin, aussi nous en usons comme s'il devait durer toujours : vous vivez comme si vous deviez toujours vivre. L'intempérance dans l'usage de notre temps, sa dilapidation est source de passions. L'occupati vit dans un temps présent très restreint, unique parcelle de temps qui est laissé à son action puisque le futur lui est inconnu et que son affairement ne lui laisse pas le loisir de se retourner sur le passé où, nous le verrons par la suite, le sage trouve, lui, la source de sa sagesse. [...]

[...] À cette plainte, Sénèque répond que la vie est suffisamment longue, mais que nous la perdons en de vaines occupations. Quelles passions un mauvais rapport au temps entraîne-t-il ? Le sage est celui qui tire le meilleur parti de temps qui lui est octroyé. Sénèque appelle les hommes qui agissent ainsi les otiosi et leurs oppose les occupati. L'opposition entre ces deux types d'hommes est celle de la concentration ou de la dispersion du temps par eux. Les occupati se noient dans les activités terrestres (politiques ou frivoles) au détriment de celles chargées d'élever l'âme. [...]

[...] La retraite complète préconiser dans De la Brièveté de la vie devient, dix ans plus tard, une situation extrême dans laquelle le sage se retranche si sa vie morale est en péril. Il rejoint ainsi l'idée déjà formulée par Cicéron d'un otium cum dignitate : Neque enim rerum gerendarum dignitate homines ecferri ita conuenit ut otio non prospiciant, neque ullum amplexari otium quod abhorreat a dignitate Il ne convient pas en effet que des hommes se laissent égarer par l'honneur de conduire les affaires publiques jusqu'à perdre de vue la tranquillité, ni qu'ils aient pour la tranquillité un attachement qui éloigne des honneurs - Pro Sestio). [...]