Ma Bohême, Arthur Rimbaud, poème, élan de la fuite, mouvement de la fugue
• dès l'attaque du sonnet, la rage de partir qui anime le poète est mise en avant : la crispation révélée par l'expression « les poings » à la césure (au lieu des « mains ») pour signifier physiquement la colère, la révolte ; violence connotée par le participe « crevées » mis en valeur en fin de vers (« crevées » et non percées » ou « trouées » plus banals). Un mouvement sans destination : partir pour partir comme le soulignent les premiers mots du poème « je m'en allais » (« s'en aller » et non « aller ») . Lexique du mouvement et de la marche : « j'allais » , «dans ma course », sur les routes ».
[...] Ainsi l'obéissance à la Muse, divinité de l'inspiration a qqch de très conventionnel mais elle s'exprime ici au vers 3 avec une fauuse gravité, pleine d'ironie : le choix du terme rare féal (pour dire le dévouement absolu) révèle l'intention parodique de Rimbaud, pour qui la seule Muse est sans doute la nature qui l'accueille Le dernier tercet introduit l'image de la lyre emblème du poète inspiré et fait allusion à Orphée, mais les cordes de la lyre sont devenues ici les lacets des chaussures du poète-marcheur ! Les élastiques sont en effet comparés à travers l'expression comme des lyres (mise en relief parce que placée avant l'élément comparé) aux cordes de l'instrument : rapprochement désinvolte et provocateur comme s'il suffisait désormais de fuir sur les chemins avec des chaussures usées par la marche pour être poète Le noble élan lyrique est donc tourné en dérision. [...]
[...] le poète se représente en vagabond errant et pauvre : le poème met l'accent, dès le premier quatrain, sur certains détails vestimentaires en particulier, qui suggèrent la misère et le dénuement : les poches crevées et deux vers entiers décrivant avec insistance l'usure de ses vêtements (v.2 et v.5) ; le vers à travers les deux adjectifs unique (un seul pantalon ) et large (une déchirure énorme ) souligne l'apparence misérable et négligée que le poète donne de lui-même (à culotte placé à la césure répond le mot trou en fin de vers, les deux termes étant reliés par la sonorité en Qqch de provocateur peut- être (refus des conventions et indifférence aux apparences)e et de désinvolte dans le fait d'exhiber un pantalon troué + souliers blessés dans le dernier vers qui complète l'évocation des vêtements abîmés. La personnification des chaussures blessés à travers l'image de la blessure, peut faire écho aux poches crevées du premier vers pour exprimer une certaine souffrance du poète, une blessure intime souffrance ou malaise expliquant la fuite. [...]
[...] Le poème joue à mêler références nobles et réalités ou expressions prosaïques, volontairement triviales : ainsi l'invocation à la Muse inspiratrice, pleine de noblesse J'allais sous le ciel, Muse voisine avec l'évocation de réalités matérielles basses poches crevées ; paletot ; mon unique culotte et son trou ou une expression familière comme Oh ! là ! là ! [...]
[...] La fuite est donc ici synonyme de libération, de bonheur et d'exaltation, en dépit de la précarité de la situation Un éloge de la fantaisie et de la liberté la nature comble le désir de liberté du poète : elle apparaît comme hospitalière et complice de la fugue du jeune homme : l'expression sous le ciel associé à la marche laisse penser que le ciel a qqch de protecteur, ce que confirme, au v.6 la réunion de la terre et du ciel à travers la métaphore de l'auberge que forment les constellations ; la voûte céleste abrite le poète errant et lui offre un toit sublime, dont la beauté est admirable Les étoiles, au vers suivant s'offrent donc au poète (ce que souligne le possessif initial) : sentiment d'intimité avec le ciel nocturne renforcé par la féminisation des étoiles à travers l'évocation sensuelle de leur doux frou-frou le froissement de leurs robes que laisse imaginer l'expression a qqch de concret qui crée l'impression d'une présence rassurante La complicité avec le ciel s'affirme aussi à travers le lien qui se crée entre le poète et les étoiles : il est attentif à leur langage Et je les écoutais qu'il semble comprendre (allusion peut- être à la musique des sphères exprimant l'harmonie cosmique que le sage, à la Renaissance, savait écouter et déchiffrer La nature enfin, à travers la rosée des gouttes / de rosée à mon front ravive les forces du poète : l'enjambement met en valeur la générosité de la nature qui offre au jeune homme de quoi oublier la fatigue ; la référence au front (à la césure) renvoie à l'intelligence créatrice, ainsi stimulée. La comparaison avec un vin de vigueur souligne le caractère précieux de la rosée, qui apparaît ainsi comme une nourriture bienfaisante dispensée par la nature (femme et mère à la fois) un idéal de vie qui accorde une large place à la rêverie et aux pouvoirs de l'imagination. [...]
[...] CCL : Une sorte de manifeste poétique (refus des contraintes, langage en liberté, écrire c'est partir sur des chemins détournés, rupture avec la vieillerie poétique mais un poème qui contribue à construire la légende, le mythe Rimbaud l'homme aux semelles de vent) en mettant en place certains des grands thèmes de la poésie de Rimbaud comme l'errance et le voyage, la révolte, l'enfance, la rêverie amoureuse ou encore l'intimité avec la nature. A confronter avec L'albatros de Baudelaire (Les Fleurs du Mal ) : une autre image du poète (Manuel, p.242). [...]
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