Pourquoi fait-on le bien ? La réponse apportée à cette question permet sans doute de distinguer les conceptions de la morale. Pour certains, il est inconcevable que l'on puisse faire le bien sans en attendre un bien en retour : aucune action ne peut être absolument désintéressée.
Sénèque soutient ici que c'est au contraire sans intérêt ni calcul de rentabilité que l'on peut faire le bien. S'il se contente d'indiquer quelques situations montrant que cela est possible, il n'est pas sûr que cela suffise pour détruire la thèse inverse : ses exemples n'excluent pas en effet d'autres exemples possibles dans lesquels interviendrait l'intérêt. Mais ce qui semble importer à l'auteur, c'est finalement de montrer que, lorsque l'intérêt n'intervient plus, c'est la seule idée du bien qui nous dirige.
[...] N'y aurait-il pas, en effet, un certain plaisir à se reconnaître parmi ceux qui sont capables de faire le bien pour rien ? Plaisir qui s'accompagnerait d'un sentiment de supériorité sur les tristes hommes qui ne peuvent se dégager quand il le faut de leurs intérêts à courte vue. On en viendrait alors à distinguer deux catégories d'esprits : ceux qui, liés définitivement au sensible (le corps, l'intérêt), se condamneraient à une morale indigne, et ceux qui, entièrement tournés vers le rationnel, seraient capables de surpasser, tant en intentions qu'en actes, les premiers. [...]
[...] Stoïcien, Sénèque pense l'humanité en général, sans la séparer en parents, amis, étrangers, hommes puissants ou esclaves : tout être humain, pour un stoïcien, a par définition la même importance et la même valeur. Ne fait-on pas le bien jusqu'à la fin de sa vie ? La position utilitariste aurait d'ailleurs une autre conséquence curieuse : on ne s'adonnerait à faire le bien que jusqu'à un certain âge, et la vertu serait ainsi plus active chez les personnes jeunes que chez les personnes âgées. [...]
[...] Mais, esquivant les notions de devoir et de loi morale, il n'échappe pas à certaines ambigüités : s'il peut incontestablement encourager à considérer que la vertu est inconditionnelle, il ne parvient peut-être pas à effacer tout doute possible sur l'absolue pureté des intentions de celui qui distribue ses bienfaits. [...]
[...] La satisfaction de l'esprit sanctionne la conduite sans intérêt et confirme son caractère vertueux. L'acte vertueux n'en a pas moins sa valeur en lui-même : Le dernier exemple, le plus développé par Sénèque, propose un argument supplémentaire à sa thèse, puisqu'il montre que c'est lorsqu'on ne peut espérer aucun retour au bienfait que l'on s'en préoccupe le plus. En d'autres termes : moins on se préoccupe d'intérêt, plus nous nous préoccupons de faire le bien pour lui-même. Léguer ses biens, rédiger son testament, constitue la situation par excellence dans laquelle on sait que ce que l'on va distribuer le sera, du point de vue de l'intérêt, en pure perte. [...]
[...] Ils montrent en effet que la bienfaisance est une pratique désirable en soi puisque tout calcul d'intérêt en est absent. Soit parce que celui auquel on rend service n'aura pas de contact ultérieur avec nous (cas de l'assistance apportée à un étranger qui doit immédiatement repartir). Soit parce qu'il ignorera même à qui il doit exactement le secours qu'on lui apporte (cas du naufragé qui bénéficie d'un navire tout équipé pour être rapatrié). De telles situations déterminent des dons sans contre dons possibles, et indiquent que celui qui se montre alors vertueux n'a pas d'autre but que d'être vertueux : la conduite morale se suffit à elle-même, elle est à elle-même sa propre fin. [...]
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