"Le bestiaire d'Amour, écrit dans le courant du XIIIe siècle par un clerc érudit, Richard de Fournival, se démarque de la tradition médiévale des bestiaires par son apparente linéarité ; il s'agit en effet d'un récit, plus que d'un catalogue, contrairement aux canons du genre qui présentent les animaux selon un système se rapprochant de l'encyclopédie. "Le bestiaire d'Amour" a pour objectif, outre sa fonction de description des valeurs courtoises, de convaincre la dame aimée par le narrateur de la sincérité des sentiments de ce dernier, pour ensuite l'amener à recevoir et partager son amour, entreprise qu'aucune de ses précédentes tentatives n'a pu mener à bien.
Nous étudions ici un passage situé à peu près au centre de l'œuvre ([17] à [20] incluse), concernant le thème de la résurrection de l'amant. Il débute après une section présentant la prudence, illustrée par le paon aux yeux multiples, et est suivi d'une section sur le castor, qui, pour échapper à la mort, sacrifie au chasseur l'organe que celui-ci lui convoite. Nous verrons donc dans cet extrait en quoi la symbolique animale, rapportée à l'homme, permet de montrer le pouvoir de l'amour.
[...] Cependant, l'amour a également une valeur positive, tout d'abord dans le choix des êtres qui l'incarnent : nous avons ainsi deux figures de la mère, deux figures du père dont l'une, le lion, assimilée comme nous venons de le dire au Père spirituel. L'amour filial est en effet une forme d'amour extrêmement positive, notamment parce qu'elle est immuable et naturelle ; ainsi, sachant que le remède évoqué par le narrateur est l'amour lui-même, on peut considérer que la belette par exemple porte énormément d'amour, au point de faire, par sa propre nature, ressusciter ses petits : ele set de se nature une medechine par coi ele les resuscite 27-28) ; on peut dire qu'il en va de même de l'hirondelle : Et pense on bien que li aronde les garist 23). [...]
[...] C'est en effet un argument visant à faire agir la dame, en illustrant ses comportements et les espoirs de celui qui l'aime par des images plus significatives sans doute que mille mots, ne nécessitant qu'un minimum de phrase d'interprétation. Finalement, on peut dire que la mise sur le même plan de l'animal et de l'homme a aussi pour fonction, dans ce passage du Bestiaire d'Amour, d'établir des liens entre l'amour, la mort et la résurrection. En effet, si l'on se concentre sur la thématique courtoise qui constitue le fil conducteur de l'œuvre et de ce passage, on s'aperçoit que l'amour mêle étroitement un aspect négatif et un aspect positif, atteignant la mort aussi bien que la résurrection. [...]
[...] Cette structure permet également, notamment grâce aux enchâssements et aux connecteurs logiques qui jalonnent le récit, d'avancer par étapes bien distinctes ; la progression se fait ainsi en douceur, de l'implicite vers l'explicite. Ainsi, c'est la référence la plus implicite, la moins habituelle qui ouvre l'extrait : celle au mythe antique d'Io et Argus. Un peu éloignée du thème animal qui fonde les bestiaires, cette référence est donc la plus éloignée de la destinataire ; le thème associé à cette histoire est celui de la prudence et de la mort que l'absence de cette dernière occasionne, sans lien direct avec le thème principal de l'extrait, la résurrection. [...]
[...] Enfin, la transposition la plus explicite de l'animal à l'homme est, comme nous l'avons évoqué plus haut, celle du pélican. Il illustre le comportement du narrateur et de la dame et celui qu'il espère de cette dernière, à commencer par l'amour que celui-ci éprouve et la façon dont il est abusé : [vous] me feistes si bel sanlant qu'il me fu avis que jou oseroie bien parler a vous, et vous dis che dont plus m'estoit 15-16). Il transpose ensuite l'orgueil et le caractère meurtrier du pélican à la dame : vous me prisastes si peu avers vous ( ) [que] m'en avés ochis 17-18) ; puis il continue cette transposition vers ses désirs cette fois-ci : il souhaite de la part de la dame un repentir et une résurrection par l'amour : vous me vausissiés arouser de vostre bonne volenté douche, ( ) vous m'averiés resuscité 20-22). [...]
[...] Mais le texte comporte une deuxième dimension : l'adaptation à l'homme des traits de caractères et des attitudes conférés aux animaux. Par la phrase par le nature d'une beste set on le nature d'une autre après laquelle intervient la première confrontation explicite de la dame vous de lui-même je ; me trois fois) et du remède dont il était question que vous me voliés rapeler a vostre amour 8 ; 10 ; 8,8,9 ; le narrateur fait de l'homme un animal parmi les animaux, légitimant la comparaison entre ces derniers et l'être humain, et surtout l'application de ce qu'il énonce à propos du règne animal à l'humanité. [...]
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